La relecture de l’Évangile de Jean permet au philosophe François Jullien de montrer, « sans y entrer par la foi », combien le christianisme est toujours une « ressource » féconde pour connaître « la vérité qui fait vivre ».
Ressources du christianisme,
de François Jullien,
Éditions de L’Herne, 2018, 128 p., 8 €
Le titre de ce petit livre n’est pas trompeur. Et si François Jullien ne précisait, dès son introduction, qu’il entend « dresser le bilan de ce que le christianisme a fait advenir dans la pensée » sans, pour autant, « y entrer par la foi »,
le chrétien pourrait y lire une quasi-apologie de sa religion. Car la
relecture philosophique de l’Évangile de Jean permet à l’éminent
helléniste et sinologue, auteur d’une quarantaine de livres traduits
dans plus de vingt-cinq langues, de démontrer combien le christianisme
originel nous offre d’abord, entre autres bienfaits, la possibilité de
ne pas confondre « psuché », le simple fait d’être vivant, avec « zôé », la vie délivrée de son enlisement dans le monde.
La capacité éthique de se tenir près de l’Autre
En réalité, Ressources du christianisme est la « reprise »
d’une conférence donnée, au printemps 2016, à la Bibliothèque nationale
(Paris) et à l’Université catholique de Lyon. L’écriture de François
Jullien y est pourtant particulièrement précise, et souvent poétique.
Est-ce l’influence du grec de saint Jean, que l’auteur retraduit parfois
au plus près du sens original ? Est-ce la rigueur de son exégèse du
texte biblique, qui l’amène ainsi à tracer l’épure de l’Évangile ? Quoi
qu’il en soit, la lecture de ces quelque cent vingt pages de petit
format doit se faire presque ligne à ligne, afin de bien suivre une
pensée qui creuse jusqu’à la limite le sens des versets cruciaux de
Jean, lequel « radicalise », selon le philosophe, « le message du Christ » et son « exigence d’universel ».
Alors, le feu d’artifice (une invention chinoise…) des « ressources du christianisme »
est éblouissant. Citons trois leçons essentielles que François Jullien
laisse fuser, parmi tant d’autres, de l’Évangile. Premièrement, que
Jésus dit cet « inouï de l’événement qu’est la vie en tant qu’elle est vivante » et « fait éclater (ainsi) jusqu’à la plus tenace évidence : que la mort est mort ». Deuxièmement, que « croire en n’est pas crédule, mais confiant », à la différence de « croire à », et que « le témoignage » de « la vérité du christianisme » permet de « se tenir hors de ce monde enfermé dans ses rapports de force et, ne coïncidant plus avec lui, de proprement ex-ister ». Troisièmement, en écho explicite de Levinas, qu’il faut cultiver « la capacité éthique de se tenir près de l’Autre ou, comme le dit encore plus radicalement Jean, à se tenir en l’Autre »…
Un avenir nouveau
Il faudrait pouvoir rendre compte de nombreuses autres fulgurances du philosophe : sur l’amour (agapé), « dont l’Évangile a promu un sens radicalement nouveau, comme vecteur de l’intime », ou aussi sur « la vérité qui fait vivre », ou encore sur cet « advenir » christique qui ouvre « un avenir qui n’est pas déjà contenu dans ce qui l’a précédé »… Car la lecture de Ressources du christianisme démontre, à chaque page, combien la parole de Jésus « rompt
avec tout ce qui a été dit par le passé, brise le sempiternel
ressassement de la parole et défie toute inféodation de la pensée ». Rien de moins.
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