lundi 2 novembre 2020

Philippe Lasserre : "Le Christ est venu m’arracher à la pesanteur du mal"

 Philippe Lasserre est mort il y a un an, le dimanche 3 novembre 2019, alors qu’il était dans sa quatre-vingt-sixième année. Sa vie, tissant harmonieusement l’engagement social et humaniste avec l’attachement à la Bible et une foi protestante chevillée à toute sa personne, nous semble inspiratrice de courage et d’espérance, surtout en ces temps assombris par tant d’incertitudes.

Photo prise par Philippe Lasserre, le 15 novembre 1998, devant le temple Port-Royal (21, bd Arago, 75013 Paris)

Article publié par Réforme (2 novembre 2020)

En revenant sur l’essentiel de son parcours existentiel, professionnel et spirituel, comment ne pas être frappé par la profondeur de son engagement dans le monde et la vie collective ? Comment ne pas y voir une fidélité constante à l’esprit et à l’action de résistance qui anima ses parents, Georges et Berthie, pendant l’Occupation allemande, alors qu’il était encore un enfant, certes, mais déjà parfaitement conscient et même participant ? En effet, à l’âge de 9 ans seulement, il était tout de même chargé de guider discrètement vers le chalet familial les familles juives qui débarquaient du train à la gare du village, en vallée de Chamonix[1].

Côté civique, Philippe Lasserre fut un des piliers dans le réseau international d’Initiatives et Changement (www.ic-fr.org), actif dans une quarantaine de pays. Frédéric Chavanne, vice-président de l’association, a ainsi témoigné : « Toute sa vie, depuis la fin de ses études de langue allemande à la Sorbonne, Philippe s’est consacré au mouvement. Souvent dans la discrétion, il en a fait vivre les structures. (…) Dans le début des années 1980, il a fait partie de ceux qui ont lancé les Consultations internationales et créé le Conseil international en 1993 qui plus tard fusionnera avec l’association internationale. Aux côtés de quelques autres comme Jean-Jacques Odier et Daniel Mottu, il a été l’un des pionniers de l’expression écrite du message d’Initiatives et Changement en langue française. Il était une référence à la fois intellectuelle, historique mais aussi morale par sa grande rigueur. En France, il a été pendant de nombreuses années le secrétaire général de l’association dont il a accompagné les présidents successifs comme ami, confident et conseiller. »

Homme de sérénité et de paix

Plus concrètement, Philippe Lasserre « a eu le souci de former des jeunes par les soirées qu’il organisait avec sa femme Lisbeth dans leur appartement avenue des Gobelins à Paris et par les camps de montagne pour les plus jeunes, école de discipline et de formation du caractère ». Le périmètre international de son engagement l’a aussi « conduit, avec Lisbeth, en Nouvelle Calédonie, où il a été proche de certains dirigeants canaques mais incluait aussi le Cambodge, l’Allemagne, l’Australie et les Etats-Unis ». Il faudrait évoquer encore les liens privilégiés que Philippe et Lisbeth Lasserre ont entretenus avec le professer Rajmohan Gandhi, petits-fils du Mahatma Gandhi, Cornelio Sommaruga (ancien président de la Croix Rouge à Genève) et le diplomate algérien Mohamed Sahnoun…

Côté spirituel, Philippe Lasserre fut intensivement engagé dans la vie de sa paroisse et dans les synodes de l’Eglise protestante de France. Jean Carayon se souvient, ainsi qu’il a été président du conseil presbytéral de la paroisse Port-Royal (Paris XIII) de 1984 à 1994 : « Son action a été exceptionnelle avec les pasteurs Alain Houziaux puis Jean-Pierre Steinberger. Philippe a su orchestrer une nouvelle dynamique. Il a été appelé ensuite au conseil régional (CR), de 1994 à 1997, et le pasteur Jean-Marc Viollet, qui était le président du CR, me disait combien il l’avait apprécié, considérant que Philippe avait toujours été un homme de sérénité et de paix. Notre ami a ensuite accepté de reprendre des fonctions au conseil presbytéral de Port-Royal, avec comme mission d’unir les paroisses de la Maison fraternelle, dite « Quartier Latin », et de Port-Royal. Les pasteurs Brice Deymié, puis Robert Philipoussi, qui ont mis en œuvre dès 2005 ce rapprochement, ont mesuré la qualité du travail de fond de Philippe qui est demeuré jusqu’à la fin un sage, un vrai témoin du Seigneur parmi nous. »

Le sens à donner à ma vie

Il y a peu, Philippe Lasserre a lui-même raconté le comment et le pourquoi de ses différents engagements. Dans un texte qu’il a donné à sa paroisse, il liait les nombreux moments de sa très riche biographie : « C’est marqué et stimulé par l’engagement de mes parents que j’ai construit ma foi et fait mes choix de vie, mais aussi par ma rencontre, en 1952, du mouvement lancé par le pasteur américain Frank Buchman (1878-1961)[2]. Mes parents étaient tous deux membres responsables de la ‘‘Fédé’’ (Fédération internationale des étudiants chrétiens, à l’époque puissant mouvement au sein du protestantisme réformé français) et dans le Christianisme social, dont mon père était un dirigeant. Ils m’ont donné l’exemple d’une vie en cohérence avec leurs idées et leur foi protestante, dans l’attachement à la Bible et au service des autres. Ils citaient souvent Karl Barth qui voulait que le chrétien vive avec ’’la Bible dans une main et le journal dans l’autre’’. La Deuxième guerre mondiale leur a permis de donner le meilleur d’eux-mêmes et de leur engagement : lui dans son camp de prisonniers (Oflag XC), en Allemagne, où il a organisé des groupes de partage et exercé un grand rayonnement spirituel. Elle, avec la Cimade, pour aider des réfugiés juifs à gagner la Suisse depuis la Haute-Savoie, où elle s’était installée avec ses enfants. C’est grâce à eux que j’ai trouvé un socle de valeurs et le sens à donner à ma vie. »

Poussant son témoignage jusqu’à l’introspection spirituelle, Philippe Lasserre concluait : « Ce qui m’attache le plus au protestantisme, c’est qu’il est porteur de la notion de liberté si magnifiquement évoquée par l’apôtre Paul dans ses épitres : liberté vis-à-vis des règles et des rites, vis-à-vis de la chair, vis-à-vis de Dieu qui, dans sa grâce, me laisse libre de choisir entre le bien et le mal, donc responsable. » Suivait alors son crédo personnel, sous la forme d’un de ces beaux poèmes dont il était l’heureux auteur : « Je crois en la vie / Je crois en l’appel / Je crois en l’amour / Dons de Dieu renouvelables chaque jour. / Le Christ est venu m’arracher à la pesanteur du mal / Me nourrir de la légèreté de la grâce. / S’il ne vit en moi, je ne peux pas aimer, / Je ne peux pas changer, / Je ne peux pas espérer… »

Antoine Peillon



[1] Une famille dans la guerre (1939-1945), Olivétan, 2009

[2] Frank Buchman est l’initiateur d’un courant de réveil chrétien (Groupe d’Oxford jusqu’en 1938, puis Réarmement moral ; aujourd’hui Initiatives et Changement) qui s’est vite mué, face aux dangers pesant sur le monde, en un mouvement militant s’adressant à des hommes et des femmes de toutes origines et visant au renouveau de la société par le changement personnel, selon le « Que ta vie soit ton message » du mahatma Gandhi.

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