vendredi 11 octobre 2024

RADIO - "Regard protestant" / RCF - Pourquoi tant de haine de la nature ?

 RCF en Bourgogne – Regard protestant – vendredi 11 octobre 2024

Bonjour à toutes et à tous !

Chère auditrice, cher auditeur, c’est une question pénible que je souhaite poser aujourd’hui devant vous.

« Mais pourquoi tant de haine ? »

Question pénible, mais inévitable, il me semble, en ce « temps déraisonnable ».

Car partout dans le monde, y compris en Europe, j’entends ce refrain du poème d’Aragon, bilan moral au vitriol de la Première Guerre mondiale*, ces strophes merveilleusement chantées par Léo Ferré :

C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens…

* Le texte de la chanson est issu du poème « Bierstube Magie allemande », publié dans le recueil Le Roman inachevé (1956), qui évoque les années 1918-1919…

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Pourquoi tant de haine, donc ?

Mais, maintenant, actualité oblige, je vous propose de resserrer un peu la question. Pourquoi tant de haine de la nature ? Et même, pourquoi tant de haine du loup ?

Il y a tout juste une semaine, le 4 octobre, en visite au Sommet de l’élevage de Cournon-d’Auvergne, dans le Puy-de-Dôme, le Premier ministre Michel Barnier évoquait « les dégâts que fait le loup sur beaucoup d’exploitations, en cassant le moral des éleveurs ». Il estimait même que nous serions « à un moment-clé pour augmenter la capacité de prélèvement », c’est-à-dire d’abattage de l’animal sauvage jusqu’ici strictement protégé, Bruxelles ayant récemment donné son feu vert pour abaisser le statut de protection du loup.

De fait, la France fait partie de la vingtaine d’États membres de l’Union européenne qui ont accueilli favorablement, le 25 septembre dernier, la proposition de la Commission de réduire le niveau de protection du grand carnivore… [« L’Europe affaiblit la protection du loup : un coup dur pour la science et la biodiversité », communiqué commun Humanité et Biodiversité, ASPAS, LPO et France Nature Environnement, 27 septembre 2024]

Je ne vais pas rentrer dans tous les détails de cette incroyable forfaiture que je vois venir depuis longtemps, ayant déjà publié, fin août 2023, un article au titre annonciateur : « Loups : Tuez-les tous ! »

Tout récemment, il y a cinq jours, Le Monde a publié aussi une remarquable chronique de son journaliste Stéphane Foucart, dont le titre est clair et net : « Si la volonté politique fait défaut pour protéger le loup, elle fera défaut sur tout le reste ».

Voici les quelques leçons essentielles que nous pouvons tirer de ces publications :

·      Il n’y a moins d’un millier de loups en France, qui cohabitent avec 68 millions d’êtres humains, 16 millions de bovins, 7 millions d’ovins et 1 million d’équidés (chevaux, poneys, ânes…).

·      Le loup est revenu naturellement en France depuis l’Italie en 1992. Depuis, sa population a connu une progression poussive pour atteindre, en 2022, un effectif estimé à 921 individus, principalement répartis sur l’arc alpin de notre pays.

·      En 2023, l’estimation d’une population nationale de 906 loups par les services de l’État a fait apparaître, pour la première fois depuis 1992, une baisse inquiétante des effectifs, après une année 2022 au cours de laquelle 162 loups ont été tués lors de tirs dérogatoires aux règles européennes et internationales concernant cette espèce protégée. Ce nombre record de tirs est accompagné d’une hausse évidente des destructions totalement illégales (braconnages, empoisonnements…) et impunies.

·      Or, une étude collective (mars 2017) du Muséum national d’histoire naturelle et de l’Office français de la biodiversité estime que l’effectif minimal à atteindre, en France, pour que le loup atteigne un seuil de viabilité à long terme, est de l’ordre de 2 500 à 5 000 individus matures sexuellement. Nous sommes donc scientifiquement loin du compte…

·      Enfin, la prédation du loup ne touche guère que… 0,065 % du cheptel ovin de l’Union européenne, soit presque rien.

Le constat s’impose : l’État français, au service des lobbies des pires chasseurs ainsi que des pires éleveurs, développe une politique environnementale qui participe au « grand massacre » mondial des espèces [« la 6e Extinction »] et qui transpire la « haine de la nature »[1]. Cette politique, appliquée à la soi-disant gestion du loup, est un symptôme purulent de cette haine.

Elle est même le symbole de toutes les haines, en vérité.

Car, pour rester d’abord dans le champ de la biodiversité, du vivant, pour utiliser le mot qui s’impose aujourd’hui aux philosophes et anthropologues autant qu’aux biologistes, mon confrère Stéphane Foucart a très intelligemment décrit l’extension du mal.

« Par comparaison, écrit-il, les bousiers, les vers de terre, les syrphes, les bourdons, les chauve-souris et tout le cortège des bestioles invisibles qui prodiguent des services cruciaux aux sociétés humaines ne disposent pas du même capital de sympathie que le loup. Et les mesures à mettre en œuvre pour les protéger sont, de surcroît, bien plus lourdes que les aménagements nécessaires à la gestion du loup. On l’a compris : si la volonté politique fait défaut pour protéger ce dernier, elle fera défaut sur tout le reste. »

« Tout le reste » ! Jusqu’à nous autres, les frères humains qui, après les loups et les chauve-souris, survivront peut-être. Mais pour combien de temps encore ?

Car, « la guerre de l'humanité contre la nature est suicidaire », s’est exclamé António Guterres, le Secrétaire général de l'ONU, lors de la cérémonie d’ouverture de « Lisbonne - Capitale verte européenne », en janvier 2020 ! Avant de souligner que l’humanité détruit ainsi sa possibilité de vivre sur la planète…

J’ajoute que cette guerre contre la nature participe du même maléfice, de la même diablerie, du même satanisme que toutes les autres guerres qui ravagent de plus en plus notre monde.

Haine du vivant et, en conséquence, guerre contre la nature, comment ne pas voir et comprendre qu’elles sont haine de la Vie (avec un « v » majuscule) et guerre contre la Création (là encore, avec un « c » majuscule) ?

Nous sommes au XXIe siècle et c’est comme si François d’Assise, entre les XIIe et XIIIe siècles, n’avait jamais fraternisé avec tous les animaux, du loup de Gubbio aux alouettes qui chantèrent le jour de sa mort[2]. « Je veux, frère loup, faire la paix entre toi et les hommes… », proposa le saint au fauve, et celui-ci donna son accord immédiatement (Fioretti, chap. XXI[3]).

Nous sommes à l’automne 2024 et c’est comme si François d’Assise n’avait jamais écrit, entre l'automne 1225 et celui de 1226, dans les tout derniers mois de sa vie, l’inouï « Cantique des créatures » : « Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures, spécialement, monsieur frère Soleil (…) Loué sois-tu, mon Seigneur, par sœur Lune et les étoiles, dans le ciel tu les as formées, claires, précieuses et belles. (..) Loué sois-tu, mon Seigneur, par sœur notre mère Terre, laquelle nous soutient et nous gouverne, et produit divers fruits avec les fleurs colorées et l’herbe… »

Nous sommes en 2024 et c’est comme si le pape François n’avait pas prophétisé, dans son encyclique Laudato Si’, lors de la Pentecôte 2015 : « L’indifférence ou la cruauté envers les autres créatures de ce monde finissent toujours par s’étendre, d’une manière ou d’une autre, au traitement que nous réservons aux autres êtres humains. Le cœur est unique, et la même misère qui nous porte à maltraiter un animal ne tarde pas à se manifester dans la relation avec les autres personnes. »

Nous sommes en 2024 et le philosophe Dominique Bourg, professeur honoraire de l’université de Lausanne, penseur de l’écologie, a osé revenir sur « la question du mal aujourd’hui », dans son tout dernier livre, paru en septembre dernier, dont le titre, Dévastation (PUF), nous bouleverse.

Son avertissement doit être entendu : « Entre bruits de bottes et feux mortels d’artillerie, canicules et sécheresses ravageuses, bombardements et mégafeux dévastateurs, jamais la planète n'a été autant en proie aux flammes. Ces ravages disent quelque chose du mal radical. Si l'on ne croit plus au diable aujourd'hui, comment expliquer ce tropisme du genre humain pour sa propre destruction et celle de la vie en général ? »

Avait-il à l’esprit, lorsqu’il a écrit ces lignes, celles publiées en 1864 par le grand géographe protestant Élisée Reclus dans La revue des deux mondes : « La surface de la Terre offre de nombreux exemples de dévastations complètes. En maints endroits, l’homme, ce nouvel Attila, a transformé sa patrie en un désert et l’herbe ne croît plus où il a posé ses pas » ?[4]

Une chose est sûre, c’est que Dominique Bourg ne renonce pas, n’a jamais renoncé et ne renoncera jamais à l’espérance. « À défaut de pouvoir épuiser la compréhension du mal, il nous reste à le combattre », est la vigoureuse conclusion de son essai. Un combat par l’amour, nous souffle-t-il, dans la sérénité et la plénitude d’une « relation univoque au bien » (Op. cit., p. 311)…

En novembre 1981, l’immense penseur protestant Jacques Ellul formulait, pour le quotidien Sud-Ouest, la meilleure théologie [dite, aujourd’hui, de la Création continuée[5]] de notre sujet : « À partir du moment où il y a rupture entre Dieu et l’homme, il y a aussi rupture en l’homme et son milieu. L’homme va dévaster ce qui était son lieu de « délices »[6] et « la création tout entière souffre et soupire »[7]… Lorsque l’homme était en communion avec Dieu, il participait à la création en ce que celle-ci n’était pas un objet stabilisé, mais toujours en train d’être de nouveau, toujours vivante comme l’amour même. L’homme portant l’amour de Dieu dans cette création la faisait vivre et changer. Mais lors de la rupture, il devient un maître inexorable qui l’exploite de façon incohérente, dramatique, dans le conflit et le désordre. »[8]

N’en doutons pas, seul l’amour est aussi fort que la mort !

« Mets-moi comme un sceau sur ton cœur,
Comme un sceau sur ton bras ;
Car l’amour est fort comme la mort… »
          chante le Cantique des cantiques 8:6

Pour que l’amour soit même plus fort que la mort, c’est à nous, les soi-disant humains, qu’il revient de combattre sans cesse la haine de la nature, de la vie, de la Création, de l’autre, du tout-Autre… De combattre toutes les haines.

Oui, il nous revient d’aimer nos prochains comme nous-mêmes[9]. Tous nos prochains, le loup y compris !

Antoine Peillon, SDG
Pour l’Église protestante unie de Dijon, Beaune, Côte-d'Or

***

Post-scriptum (12 octobre 2024)

 


Biodiversité en danger : avons-nous atteint le point de non-retour ? / France Culture

Selon le tout dernier rapport de l'association WWF, les populations d'espèces étudiées par l'organisation auraient diminué de 73%. Un chiffre qui alerte les organisations de défense de la biodiversité et qui pose question à seulement quelques jours de la COP16 sur la biodiversité...

Avec :


[1] François Ramade, Le grand massacre. L’avenir des espèces vivantes, Hachette, 1999, et Christian Godin, La haine de la nature, Champ Vallon, 2012. Elizabeth Kolbert, The Sixth Extinction: An Unnatural History, 2014, traduit en français : La 6e Extinction. Comment l'homme détruit la vie, Vuibert, 2015. WWF, « Rapport Planète Vivante 2024 : 73 % des populations de vertébrés sauvages ont décliné depuis 1970 », 9 octobre 2024.

[2] François d’Assise, Frère loup et les autres animaux, préface et traduction de François Dupuigrenet Desroussilles, Rivages, 2024.

[3] Fioretti de Saint François (trad. introd. et notes d'Alexandre Masseron), Éditions du Cerf / Éditions franciscaines, 2002 (dernière édition) ; François d’Assise. Ecrits, Vies, témoignages, dir. Jacques Dalarun, Éditions du Cerf / Éditions franciscaines (Sources franciscaines), 2010, en 2 volumes.

[4] Élisée reclus, La Terre détruite par l’homme, Espaces et signes, 2023, p. 19.

[5] Fabien Revol, « Théologie de la création continuée », dans la Revue des sciences religieuses, 2017 : https://journals.openedition.org/rsr/3953

[6] Allusion à Psaume 37:3-4.

[7] Allusion à Romains 8:22.

[8] « La nature et la foi », dans Penser globalement, agir localement. Chroniques journalistiques, PRNG Éditions, 2013, p. 113.

[9] Lévitique 19:18 ; Marc 12:31 ; Matthieu 22:39 ; Luc 10:27 ; Romains 13:8 ; Galates 5:14 ; Jacques 2:8 ; Jacques 2:8-9…

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