jeudi 29 novembre 2018

La montagne héroïque



HISTOIRE
Terre de refuge pour nombre de résistants et de Juifs français et étrangers entre 1940 et 1944, les Cévennes furent un lieu fort de lutte contre l’occupant nazi.
 
Nous devions le faire, nous l’avons fait, c’est tout : Cévennes, l’histoire d’une terre de refuge, 1940-1944, de Patrick Cabanel, Alcide, 688 p., 34,90 €


C’est une œuvre de très longue haleine, foisonnante d’images et de récits les plus ardents. C’est surtout un monument aux vivants, bien plus qu’aux morts, car Patrick Cabanel, racontant des dizaines de destins au temps de l’Occupation, semble avoir prié, comme Ézéchiel : « Esprit, viens des quatre vents, souffle sur ces morts, et qu’ils revivent ! » Par là, il est aussi disciple du grand médiéviste et résistant Marc Bloch qui, dans son Apologie pour l’histoire ou métier d’historien (1943), mettait en exergue le « besoin d’unir l’étude des morts à celle des vivants ».
Plus de 30 ans de recherche
La somme, publiée aujourd’hui par Alcide, est la dernière mouture d’une recherche longue de plus de 30 ans, qui a déjà nourri cinq éditions de Cévennes, terre de refuge, ouvrage collectif né d’un vœu émis lors du congrès du Club cévenol, en 1984, pour célébrer le 40e anniversaire de la Libération. Désormais, l’épopée résistante des Cévennes est éclairée dans ses moindres détails. Il y apparaît que, de 1940 à 1944, quelques centaines de Juifs sont venus se réfugier dans des hameaux à schiste et des vallons de châtaigniers, entre Gard et Lozère, où ils ont presque tous été sauvés.
Pour les très modestes communes lozériennes de Vébron et des Rousses, par exemple, un tableau des Juifs réfugiés comprend les noms de près de soixante enfants, femmes et hommes venus de Nice, Marseille, Paris, mais aussi de Belgique, Tchécoslovaquie, Allemagne, Autriche, Roumanie, Pologne… Des familles entières ont été sauvées ici, entre 1942 et la Libération. Avec une modestie typique des résistants cévenols, Liliane Chazel, veuve du pasteur de cette double paroisse, témoignait, en 1977 : « Le peu que le pasteur François Chazel a pu faire pendant la grande tourmente, c’est au nom de Celui qui a dit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. Grande a été notre joie et notre reconnaissance de voir sortir vivants de la tourmente tous ceux dont la vie nous avait été confiée. À Dieu seul la gloire ! »
Exceptionnelle résistance cévenole
Patrick Cabanel a déjà consacré une importante partie de son œuvre aux Justes. Mais Nous devions le faire, nous l’avons fait, c’est tout révèle comme jamais auparavant, au-delà des faits minutieusement recensés, l’âme et l’esprit de l’exceptionnelle résistance cévenole. Cette nouvelle recherche a ainsi révélé, à la surprise de l’historien, que pas loin de deux pasteurs sur trois en poste dans les Cévennes ont eu la médaille des « Justes parmi les nations » remise, après enquête, par le mémorial israélien de Yad Vashem. Quantité d’autres leçons éthiques et spirituelles seraient encore à tirer de ces quelque 700 pages émouvantes autant qu’édifiantes.

Antoine Peillon (publié dans La Croix du jeudi 29 novembre 2018)

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