Terre de refuge pour nombre de résistants et de Juifs français et étrangers entre 1940 et 1944, les Cévennes furent un lieu fort de lutte contre l’occupant nazi.
• Nous devions le faire, nous l’avons fait, c’est tout : Cévennes, l’histoire d’une
terre de refuge, 1940-1944, de Patrick Cabanel, Alcide, 688 p., 34,90 €
C’est une
œuvre de très longue haleine, foisonnante d’images et de récits les plus
ardents. C’est surtout un monument aux vivants, bien plus qu’aux morts, car
Patrick Cabanel, racontant des dizaines de destins au temps de l’Occupation,
semble avoir prié, comme Ézéchiel : « Esprit, viens des quatre vents,
souffle sur ces morts, et qu’ils revivent ! » Par là, il est aussi
disciple du grand médiéviste et résistant Marc Bloch qui, dans son Apologie
pour l’histoire ou métier d’historien (1943), mettait en exergue le « besoin
d’unir l’étude des morts à celle des vivants ».
Plus de 30 ans de recherche
La somme,
publiée aujourd’hui par Alcide, est la dernière mouture d’une recherche longue
de plus de 30 ans, qui a déjà nourri cinq éditions de Cévennes, terre
de refuge, ouvrage collectif né d’un vœu émis lors du congrès du Club
cévenol, en 1984, pour célébrer le 40e anniversaire de la
Libération. Désormais, l’épopée résistante des Cévennes est éclairée dans ses
moindres détails. Il y apparaît que, de 1940 à 1944, quelques centaines de
Juifs sont venus se réfugier dans des hameaux à schiste et des vallons de
châtaigniers, entre Gard et Lozère, où ils ont presque tous été sauvés.
Pour les
très modestes communes lozériennes de Vébron et des Rousses, par exemple, un
tableau des Juifs réfugiés comprend les noms de près de soixante enfants,
femmes et hommes venus de Nice, Marseille, Paris, mais aussi de Belgique,
Tchécoslovaquie, Allemagne, Autriche, Roumanie, Pologne… Des familles entières
ont été sauvées ici, entre 1942 et la Libération. Avec une modestie typique des
résistants cévenols, Liliane Chazel, veuve du pasteur de cette double paroisse,
témoignait, en 1977 : « Le peu que le pasteur François Chazel a pu
faire pendant la grande tourmente, c’est au nom de Celui qui a dit : “Tu
aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta
pensée, et ton prochain comme toi-même” . Grande a été notre joie et
notre reconnaissance de voir sortir vivants de la tourmente tous ceux dont la
vie nous avait été confiée. À Dieu seul la gloire ! »
Exceptionnelle
résistance cévenole
Patrick
Cabanel a déjà consacré une importante partie de son œuvre aux Justes. Mais Nous
devions le faire, nous l’avons fait, c’est tout révèle comme jamais
auparavant, au-delà des faits minutieusement recensés, l’âme et l’esprit de
l’exceptionnelle résistance cévenole. Cette nouvelle recherche a ainsi révélé,
à la surprise de l’historien, que pas loin de deux pasteurs sur trois en poste
dans les Cévennes ont eu la médaille des « Justes parmi les nations »
remise, après enquête, par le mémorial israélien de Yad Vashem. Quantité
d’autres leçons éthiques et spirituelles seraient encore à tirer de ces quelque
700 pages émouvantes autant qu’édifiantes.
Antoine
Peillon (publié dans La Croix du jeudi 29 novembre 2018)
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