Angélique, 26 ans, salariée en insertion, tient la caisse de
« La brocante pour tous », une des activités de la Fondation de l’Armée du
salut au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) / (c) Ishta
Le Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire)
Pierre Chetcuti est un colosse. À 58 ans, l’actuel directeur de l’atelier et chantier d’insertion (ACI) Pause-café du Chambon-sur-Lignon, créé il y a dix ans, confesse : « Je fais encore 1,98 m, mais je me suis tassé… ». À « La brocante pour tous », deux hangars de la Fondation de l’Armée du salut, situés sur la zone d’activité des Lebreyres, dans les hauts du bourg, où l’ACI vend « tout ce qui a été récupéré, trié, réparé et remis en valeur », cet ancien directeur d’établissements médico-sociaux pendant trente ans est maintenant « directeur de transition », depuis cinq ans. « Cela veut dire que j’interviens dans les institutions en crise, explique-t-il. Ici, au Chambon, je suis arrivé fin avril 2018. Je partirai le 6 janvier 2019. »
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En attendant, l’évidente force tranquille de Pierre Chetcuti lui aura permis de restructurer presque de fond en comble les activités de la Fondation de l’Armée du salut sur le plateau du Haut-Lignon, activités qui se distribuent sur les deux hangars – dits « le garage » et « le magasin » – de la zone d’activité des Lebreyres, une maison en centre-ville du Chambon, appelée « Le bivouac », un point information jeunesse (PIJ), abrité par la mairie… Dès les premières semaines de 2019, les deux hangars accueilleront une recyclerie et un magasin solidaire, en place de l’actuelle brocante et friperie, afin de « passer du bric-à-brac à une collecte et une vente optimisée », sans oublier l’objectif d’« augmenter le chiffre d’affaires » qui est actuellement de quelque 110 000 € par an.
Denis, 63 ans, salarié de l’atelier et chantier d’insertion
(ACI) Pause-café organisé par la Fondation de l’Armée du salut au
Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) / (c) Ishta
À Paris, l’Armée du salut va porter le petit déjeuner aux sans-abri
Lors du déjeuner pris en commun, la solidarité morale des cadres de l’ACI Pause-café se manifeste chaleureusement. Pierre Chetcuti parle à cœur ouvert de sa relation avec ses collègues : « Pour moi, le Chambon, c’est une belle mission, une forte expérience humaine autant que professionnelle. C’est même la première fois que je m’attache à ce point à un projet de relance. Dans l’Armée du salut, j’ai découvert un mode de fonctionnement empreint de bienveillance et du souci de l’autre, des valeurs qui font sens, des valeurs humanistes auxquelles j’adhère, notamment en tant que chrétien. »
L’équipe d’encadrement de l’atelier et chantier d’insertion
(ACI) Pause-café organisé par la Fondation de l’Armée du salut au
Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire). De gauche à droite : Pierre Chetcuti, 58 ans,
directeur ; Elven Le Floch, 22 ans, éducatrice spécialisée ; Valérie Pernot, 47
ans, conseillère en insertion professionnelle ; Roger Benoît, 48 ans, encadrant
technique / (c) Ishta
Christian Page, ancien SDF, se raconte dans un livre
Car, pour la trentaine de personnes qui ont bénéficié, en 2018, d’un contrat d’insertion à l’ACI Pause-café, ainsi que des conseils de Valérie Pernot, il s’agissait d’ordinaire de « reprendre des habitudes basiques : se lever le matin, arriver à l’heure au travail, expliquer ses difficultés, retrouver le maximum d’autonomie… » Pour accomplir cette mission, la jeune femme et ses collègues font feu de tout bois. « Il y a un côté défi qui me motive, dit-elle, car il s’agit de recréer un nouveau parcours d’insertion. Nous sommes dans la refondation et je ressens une énorme énergie au sein de notre équipe. Les valeurs de l’Armée du salut me semblent importantes, du point de vue de la vie humaine, plus que d’un point de vue religieux. »
Myriam Argaud, 62 ans, bénévole de l’Armée du salut au
Chambon-sur-Lignon, ici dans la friperie de « La brocante pour tous » de
l’atelier et chantier d’insertion (ACI) Pause-café / (c) Ishta
De quoi meurt-on quand on est sans domicile ?
Écoutant attentivement ces paroles, Pierre Chetcuti poursuit : « Ici, les gens viennent sauver leur peau, ils viennent se réparer. Nous aussi d’ailleurs, mais de façon symétrique. Eux comme nous, nous procédons à la réparation des blessures de la vie, ouvertes par les injustices qu’ils ont subies et dont nous sommes les témoins. Ici, nous sommes tous des êtres humains sensibles. Nous luttons contre l’injustice par l’amour fraternel. L’injustice m’insupporte ! » Roger Benoît reprend : « Moi, l’injustice me révolte. » Et Valérie Pernot ponctue : « Elle me met en colère. Son extension actuelle pourrait presque me désespérer, parfois. » Cependant, le directeur de transition et la conseillère en réinsertion trouvent au Chambon-sur-Lignon, seul village français honoré du titre de Juste parmi les nations, « une atmosphère chargée d’humanité, où les gens sont ouverts, bienveillants, accueillants, dépositaires et responsables de leur histoire ». Tous deux trouvent là un fort encouragement à l’espérance.
Le permis, sésame pour l’emploi
Patrick (1), 26 ans, salarié en insertion à l’ACI Pause-café depuis un an et demi, prend le soleil devant le hangar de « La brocante pour tous », son chien – accepté par son employeur caritatif – jouant entre ses pieds chaussés de rangers à la mode punk. Ayant vécu pendant cinq ans « à la rue », il témoigne que, lors de ses vaines recherches de travail, les cadres de l’Armée du salut du Chambon ont été « les seuls à (lui) faire confiance ». Aussi, il gagne désormais quelque 860 € par mois, à raison de 26 heures de travail par semaine, ce qui lui permet de payer un loyer mensuel de 150 € pour un appartement situé dans le bourg. S’il a ainsi « suffisamment pour vivre dignement », le jeune homme se plaint de ne pas trouver le moyen de passer son permis de conduire, le sésame pour l’emploi.
Nathalie Heinich, une sociologue au Chambon-sur-Lignon
Denis, 63 ans, lui aussi salarié de l’ACI, écoute Patrick avec empathie, puis commente : « Son passage ici l’a remis sur les rails. » Le sourire fin de cet ancien chauffeur de poids lourds communique une impression de profonde sagesse. Son tout jeune collègue convient alors : « Oui, c’est vrai, j’ai retrouvé du goût à vivre alors que je viens de loin… D’ailleurs, Denis m’a aidé à voir combien le pays est beau, à reconnaître la sérénité qui se dégage de ces paysages fantastiques. » La discussion entre les deux amis roule vivement. Denis plaisante : « C’est l’Amérique ! » Patrick souffle : « Le Chambon recueille toutes les âmes perdues. »
« Mamie Jeannette »
Dans le hangar de 300 m2, où brocante et friperie sont installées, Clémence, 30 ans, Angélique, 26 ans, Mendy, en service civique, 22 ans, et Myriam Argaud, bénévole, 62 ans, répondent aux questions des nombreux clients et tiennent la caisse. Angélique, enfant du Chambon, diplômée (CAP et BAFA), n’a pas trouvé d’autre emploi, sauf en tant que vacataire excessivement sous-payée. Au-delà du minimum de stabilité économique assurée par l’ACI, la très jeune femme apprécie particulièrement le respect de ses encadrants : « Ils nous écoutent, sont compréhensifs et cherchent vraiment des solutions pour nous sortir de la galère. De mon côté, j’apprends à bien vivre avec des personnes qui sont pourtant en grande difficulté. »
Le plateau du Chambon perpétue la mémoire de ses Justes
En centre-ville, dans l’atmosphère chaleureuse du « Bivouac », Jeannette Argoud, 89 ans, tient la boutique où livres et petits objets s’entassent dans un joyeux désordre d’avant-Noël. Ancienne responsable du Secours catholique dans l’Ain, pendant plus de vingt ans, « mamie Jeannette » (ainsi l’appelle-t-on, au Chambon) est « bénévole à plein temps ». « L’Armée du salut est protestante ?, s’amuse-t-elle. Et alors ? Nous partageons les mêmes valeurs : respect des plus démunis, de leur dignité. Que Dieu me donne la santé pour continuer de les aider le plus longtemps possible ! »
Antoine Peillon (publié dans La Croix du vendredi 30 novembre 2018)
(1) Prénom modifié.
Les clés du sujet
Plus de 170 établissements et services d’action sociale en France
Pourquoi ?
En pleine révolution industrielle, le pasteur William Booth est choqué par les conditions de vie indignes du monde ouvrier, notamment dans l’est de Londres. En 1865, il crée une première association caritative qui devient, en 1878, l’Armée du salut pour répondre aux besoins matériels et spirituels des plus démunis. Seize ans plus tard, sa fille Catherine porte la mission de l’Armée du salut en France. Durant la Seconde Guerre mondiale, l’Armée du salut est dissoute par Vichy, mais son travail se poursuit dans la clandestinité, jusqu’à la Libération, sous couvert de la Fédération protestante de France et de la communauté des Diaconesses de Reuilly.
Comment ?
Pour distinguer l’action sociale et l’œuvre d’évangélisation, l’Armée du salut adopte en 1994 de nouveaux statuts. La Fondation de l’Armée du salut, dès lors distincte de la Congrégation, est reconnue d’utilité publique en avril 2000. La Fondation agit essentiellement pour la réinsertion de femmes, d’hommes et de familles en situation d’exclusion, l’insertion professionnelle des personnes handicapées et déficientes mentales, ou encore l’accompagnement des personnes âgées dépendantes.
Et vous ?
En France, la Fondation compte plus de 170 établissements et services d’action sociale. Les bénévoles et salariés de l’Armée du salut sont 1,7 million dans 130 pays du monde. Tout au long de l’année, les nouveaux bénévoles sont les bienvenus.
Service bénévolat de l’Armée du salut : 01.43.62.25.60, ou benevolat@armeedusalut.fr, ou courrier adressé à : Armée du salut, service bénévolat, 60, rue des Frères-Flavien, 75 976 Paris Cedex 20.
Site : www.armeedusalut.fr
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