Prédication du 16 juillet 2017,
temple Port-Royal / Quartier latin (Paris 5 et 13)
Antoine Peillon SDG
Sur Matthieu 13,1-23
Vincent Van Gogh, "Le Semeur au soleil couchant", Arles, juin 1888
Matthieu
13,1-23 (Segond 1910)
1 Ce même
jour, Jésus sortit de la maison, et s'assit au bord de la mer.
2 Une grande
foule s'étant assemblée auprès de lui, il monta dans une barque, et il s'assit.
Toute la foule se tenait sur le rivage.
3 Il leur
parla en paraboles sur beaucoup de choses, et il dit :
4 Un semeur
sortit pour semer. Comme il semait, une partie de la semence tomba le long du chemin
: les oiseaux vinrent, et la mangèrent.
5 Une autre
partie tomba dans les endroits pierreux, où elle n'avait pas beaucoup de terre
: elle leva aussitôt, parce qu'elle ne trouva pas un sol profond ;
6 mais,
quand le soleil parut, elle fut brûlée et sécha, faute de racines.
7 Une autre
partie tomba parmi les épines : les épines montèrent, et l'étouffèrent.
8 Une autre
partie tomba dans la bonne terre : elle donna du fruit, un grain cent, un autre
soixante, un autre trente.
9 Que celui
qui a des oreilles pour entendre entende.
10 Les
disciples s'approchèrent, et lui dirent : Pourquoi leur parles-tu en paraboles
?
11 Jésus leur
répondit : Parce qu'il vous a été donné de connaître les mystères du royaume
des cieux, et que cela ne leur a pas été donné.
12 Car on
donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on
ôtera même ce qu'il a.
13 C'est
pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu'en voyant ils ne voient point, et
qu'en entendant ils n'entendent ni ne comprennent.
14 Et pour
eux s'accomplit cette prophétie d’Ésaïe ; Vous entendrez de vos oreilles, et
vous ne comprendrez point ; Vous regarderez de vos yeux, et vous ne verrez
point.
15 Car le cœur
de ce peuple est devenu insensible ; Ils ont endurci leurs oreilles, et ils ont
fermé leurs yeux, De peur qu'ils ne voient de leurs yeux, qu'ils n'entendent de
leurs oreilles, Qu'ils ne comprennent de leur cœur, Qu'ils ne se convertissent,
et que je ne les guérisse.
16 Mais
heureux sont vos yeux, parce qu'ils voient, et vos oreilles, parce qu'elles entendent.
17 Je vous
le dis en vérité, beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que
vous voyez, et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l'ont pas
entendu.
18 Vous
donc, écoutez ce que signifie la parabole du semeur.
19 Lorsqu'un
homme écoute la parole du royaume et ne la comprend pas, le malin vient et
enlève ce qui a été semé dans son cœur : cet homme est celui qui a reçu la
semence le long du chemin.
20 Celui qui
a reçu la semence dans les endroits pierreux, c'est celui qui entend la parole
et la reçoit aussitôt avec joie ;
21 mais il
n'a pas de racines en lui-même, il manque de persistance, et, dès que survient
une tribulation ou une persécution à cause de la parole, il y trouve une
occasion de chute.
22 Celui qui
a reçu la semence parmi les épines, c'est celui qui entend la parole, mais en
qui les soucis du siècle et la séduction des richesses étouffent cette parole,
et la rendent infructueuse.
23 Celui qui
a reçu la semence dans la bonne terre, c'est celui qui entend la parole et la comprend
; il porte du fruit, et un grain en donne cent, un autre soixante, un autre
trente.
Le semeur est donc sorti pour semer à tous vents. Mais au fur et à mesure que Jésus raconte ce que deviennent les grains qu’il a semés, nous avons la gorge de plus en plus serrée par l’inquiétude ; nous imaginons déjà la déception, voire le désespoir du semeur devant un champ désolé.
Mais
tout à coup l’histoire prend une direction inattendue : il reste malgré tout
une parcelle de bonne terre, des grains qui lèvent et portent du fruit, au-delà
même de ce qu’a pu espérer le semeur : « (…) alors, il porte du fruit et produit l’un cent, l’autre soixante,
l’autre trente… », nous dit le dernier verset de notre évangile
d’aujourd’hui.
Et
nul d’entre nous ne pouvait prédire ce que tous ces grains semés donneraient
comme fruits.
Jean
Chrysostome (c. 347 - 409), « bouche d’or », nous le dit si
bien : « Dans la parabole du semeur, le Christ nous montre que sa
parole s’adresse à tous indistinctement. De même, en effet, que le semeur de la
parabole ne fait aucune distinction entre les terrains, mais sème à tous vents,
ainsi le Seigneur ne distingue pas entre le riche et le pauvre, le sage et le
sot, le négligent et l’appliqué, le courageux et le lâche, mais il s’adresse à
tous et, bien qu’il connaisse l’avenir, il met tout en œuvre de son côté de
manière à pouvoir dire : « Que devais-je
faire que je n’ai point fait ? » (Is 5:4) »
***
A
la foule qui se tenait sur le rivage du lac de Galilée, Jésus a-t-il seulement
voulu parler du travail aléatoire d’un paysan palestinien d’il y a 2000 ans, du
combat sans fin qu’il mène avec une terre ingrate, de ses échecs dus à une
technique restée trop archaïque et des succès qui, malgré tout, couronnent
parfois sa peine et comblent ses espoirs au-delà de toute attente ?
Il
est évident que Jésus n’a pas voulu parler de la vie des paysans de son temps,
ni donner une leçon sur les sols ou les techniques agricoles. Le mot « parabole
» qui définit le récit de Jésus doit nous alerter.
Car
qu’est-ce qu’une parabole ? Est-elle une allégorie, une métaphore développée,
un exemple servant de moyen de persuasion, un modèle à mettre en pratique, un
discours imagé cachant une pensée ? Quelle est sa fonction ?
Dans
les Septante (LXX), la version grecque de la Bible juive, parabolè est
principalement la traduction du mot hébreu mâshâl. Le mâshâl est
une brève maxime facile à retenir, mais porteuse d’un sens plus profond, voire
caché, concernant la vie de l’homme ou l’œuvre de Dieu. Ce sens doit être
cherché, car Mâshâl peut être synonyme d’énigme, comme dans le Ps 49 : «
L’oreille attentive au proverbe (mâshâl
en hébreu, parabolè dans les LXX), sur ma cithare, je résous
l’énigme. »
Dans le Nouveau Testament, l’emploi de parabolè
se limite aux évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) et à l’Épître
aux Hébreux. Dans celle-ci (9,9 ; 11,19), parabolè définit une réalité
terrestre comme figure ou anticipation d’une réalité céleste à venir.
Le mot est le plus fréquemment employé dans
les évangiles synoptiques (17 fois chez Mt, 13 fois chez Mc et 18 fois chez Lc)
où il désigne un discours de caractère comparatif, donnant une expression
complète et imagée à une pensée, mais qui à cause de son côté mystérieux
appelle, selon l’opinion les évangélistes, une interprétation.
Dans
la mesure où elle est une métaphore originale, elle suggère donc un excès de
sens, un sens ouvert ; elle est une création poétique qui fait advenir un autre
monde et non un simple exemple destiné à persuader.
Au
risque d’être reçue comme symbole ésotérique, accessible aux seuls initiés...
D’où notre besoin d’illumination, et de
prédication.
***
« Entende
qui a des oreilles ! » Et : « Vous donc, écoutez la parabole du
semeur ! »
Qu’a
donc voulu dire Jésus par la parabole du semeur ?
Si,
comme la foule à laquelle s’est adressé Jésus, nous n’avions entendu que l’histoire
du semeur, nous serions bien en peine de deviner le sens caché de cette
histoire. Jésus a beau nous interpeller « Entende qui a des
oreilles ! », son interpellation dit bien qu’il y a un sens à
chercher, quelque chose à comprendre, mais elle nous laisse démunis face à ce
que nous percevons comme une énigme, comme un mystère.
Bien
sûr, en tant qu’auditeurs ou lecteurs de l’évangile, nous sommes moins démunis
que la foule qui se tenait sur le rivage du lac pour comprendre la parabole du
semeur. A l’instar des disciples, nous avons reçu, à la fois de Jésus et de
l’évangéliste, des clés qui nous permettent d’accéder au sens véritable de la
parabole de Jésus.
Nous
avons au moins trois clés dans nos mains.
La première, c’est le décryptage de la parabole du semeur que Jésus a donné
lui-même à ses disciples. Décryptage que Matthieu a reçu de Marc et de la
tradition de l’Église primitive. Nous allons y revenir.
La seconde,
c’est l’ensemble des sept paraboles que Matthieu a regroupées au chapitre 13 de
son évangile. Elles s’éclairent mutuellement et la parabole du semeur prend son
sens du fait de son insertion dans cet ensemble soigneusement composé par
l’évangéliste (il faudrait le lire en entier pour se rendre compte que la
parabole du semeur n’est qu’une perle parmi d’autres et qu’elle forme un
collier avec d’autres paraboles).
La troisième clé, la plus importante sans doute, consiste à faire le lien entre
l’histoire du semeur que raconte Jésus et l’évangile qui est l’histoire même de
Jésus : n’y aurait-il pas comme une ressemblance, une résonance, entre ces deux
histoires ?
Pendant
sa vie, Jésus a fait des paraboles sur Dieu. Par la suite, les évangélistes ont
raconté l’histoire de Jésus comme Parabole de Dieu.
***
Au
fur et à mesure que nous recourons à ces trois clés, que nous propose
l’évangéliste Matthieu, une compréhension plus vaste de la parabole du semeur
s’ouvre à nous. La parabole n’a pas qu’un seul sens, qu’on pourrait fixer une
fois pour toutes dans une explication, mais elle est riche de sens multiples
que l’auditeur ou le lecteur perçoit au fur et à mesure qu’il avance dans la
compréhension de Jésus et de son message sur le Royaume de Dieu. La parabole
est une invitation à se mettre en route.
Et
à en finir avec l’ésotérisme ![1] Car
« il n’y a rien de voilé qui ne doive être révélé, rien de caché qui ne
doive être connu » (Luc 12 : 2).
***
«
Vous donc, écoutez la parabole du semeur » : en expliquant la parabole aux
disciples, Jésus l’applique aussi à eux ; ils sont personnellement
concernés par l’histoire du semeur.
Ils
ont entendu la parole du Royaume, mais font-ils partie de ceux qui entendent et
ne comprennent pas ou, au contraire, de ceux qui entendent et comprennent ?
Jésus veut les amener à s’interroger. Il les invite à s’identifier à plusieurs
personnages. Pas à pas…
D’abord
à celui qui n’a pas laissé la Parole pénétrer en lui, qui n’a même pas cherché
à la comprendre. Chez celui-là, le Malin a fait le reste : la Parole s’est
envolée, comme des grains emportés par les oiseaux.
Ensuite,
Jésus fait défiler deux personnages auxquels les disciples peuvent plus
facilement s’identifier :
· d’abord, il y a « celui qui a été ensemencé en des endroits
pierreux », l’homme d’un moment,
qui se laisse émouvoir, qui s’enthousiasme volontiers, mais qui ensuite ne
réfléchit pas à la Parole qu’il a entendue,
· puis vient « celui qui a été ensemencé dans les
épines », l’homme qui se laisse accaparer par les soucis de toutes sortes
et par les affaires du monde ; celui-ci ne laisse pas à la Parole qu’il a
entendue l’espace dont elle a besoin pour se développer, pour grandir,
·
enfin, voici
« celui qui a été ensemencé dans la bonne terre », c’est-à-dire
« celui qui entend la Parole et comprend »…
Et
c’est celui-ci qui « porte du fruit » !
Car
la compréhension de la Parole n’est pas une fin en soi, elle doit déboucher sur
des comportements et des actes qui témoignent de la venue du Royaume des cieux
dans le monde, monde qui est appelé à devenir une bonne terre fertile en fruits
de justice et de bonté.
Entendre,
comprendre et agir en conséquence : c’est le triangle évangélique !
La
parabole du semeur et les exhortations de Jésus à ses disciples doivent donc
être entendues dans la perspective du dessein salvateur de Dieu pour le monde,
pour la terre qu’il a créée et bénie, ainsi que dans celle de notre
participation à ce dessein du salut.
***
Jésus
ne raconte pas seulement la parabole, il est aussi le semeur dont parle la
parabole. Il est le sauveur. A ce titre, il y a une similitude entre la
parabole du semeur et l’évangile tout entier qui lui aussi parle de Jésus.
La
parabole du semeur comprise comme histoire de Jésus présente cette histoire
comme tissée d’incompréhension et d’échecs. Les disciples et à plus forte
raison la foule peuvent s’interroger sur la nature et l’authenticité de la
mission de Jésus.
Et
toi, ma sœur, mon frère, ne t’interroges-tu pas aussi ?
Comme
l’évangile en son entier, la parabole est une invitation à connaître et à
comprendre Jésus, à comprendre son histoire comme une histoire par laquelle
Dieu fait advenir son Royaume et sa justice, comme une histoire dans laquelle
s’accomplissent les promesses des prophètes. Car Jésus, le Fils de l’Homme, a
semé au cœur de notre monde l’espérance de la Résurrection.
Nous
ne pouvons l’entendre, le comprendre et agir en conséquence que pas à pas,
progressivement, en marchant sur le chemin de Jésus-Christ.
Car
« ce n’est pas de la même manière que tous nous allons à lui, nous souffle
le merveilleux Origène (v. 185 – 253), maître des quatre sens de l’Ecriture,
mais chacun y va « selon ses propres capacités » (Mt 25:15). Ou bien c’est avec
les foules que nous allons à lui, et il nous nourrit en paraboles pour que nous
ne défaillions pas à jeun sur la route (Mc 8:3). Ou bien nous restons sans
cesse à ses pieds, ne nous préoccupant que d’écouter sa parole, sans jamais
nous laisser troubler par les multiples soins du service (Lc
10:38s)... Mais si, comme les apôtres, sans nous éloigner jamais, nous «
demeurons constamment avec lui dans toutes ses épreuves » (Lc 22:28), alors il
nous explique en secret ce qu’il avait dit aux foules, et c’est avec plus de
clarté encore qu’il nous illumine (Mt 13:11s). »
Alors
se propose l’ascension ultime de l’homme : « Enfin, s’il trouve
quelqu’un capable de monter avec Lui jusque sur la montagne, comme Pierre,
Jacques et Jean, celui-là n’est plus illuminé seulement de la lumière du
Christ, mais de la voix du Père lui-même. »
La
voix du Père nous est alors donnée, par la grâce seule, dans la lumière du
Christ, dans le geste large de Jésus-le-Semeur.
Et
ce matin, qu’a-t-il aussi semé dans nos cœurs ? Le bon grain, n’en doutons
plus !
Amen !
[1]
Dans La Fin de l’ésotérisme (1972),
Raymond Abellio affirme : « Le problème clé de l’ésotérisme en même temps que
sa fin est la transfiguration du monde dans
l’homme, (…) la recréation transfigurante du monde dans l’homme. (…) Alors
naît, au-delà du Moi banal prétendument distinct et autonome, le sentiment
puissant de la globalité et de l’unité, qui est participation de ce Moi
lui-même à l’interdépendance universelle. (…) La participation consciente et
permanente à l’interdépendance universelle est l’achèvement en l’homme du
mystère de l’incarnation. C’est par cette dernière expérience, qui est
initiatique, que l’homme est introduit à un mode entièrement nouveau
d’existence. En dehors d’elle, il n’y a pas à strictement parler d’ésotérisme.
Et, dans cette expérience, tout ésotérisme en fait s’abolit. »
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