Prédication du 5 février 2017,
temple Port-Royal / Quartier latin (Paris 5 et 13)
Antoine Peillon SDG
Sur Luc 9,18-24
Transfiguration, par Duccio di Buoninsegna (Sienne vers 1255-1260 - vers 1318-1319)
18 Or, comme il était
en prière à l’écart, les disciples étaient avec lui, et il les
interrogea : « Qui suis-je au dire des foules ? » 19 Ils
répondirent : « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ;
pour d’autres, tu es un prophète d’autrefois qui est ressuscité. »
20 Il leur dit :
« Et vous, qui dites-vous que je suis ? » Pierre, prenant
la parole, répondit : « Le Christ de Dieu. » 21 Et lui,
avec sévérité, leur ordonna de ne le dire à personne, 22 en expliquant :
« Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit
rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit mis à
mort et que, le troisième jour, il ressuscite. »
23 Puis il dit à tous : « Si quelqu’un veut venir à ma suite,
qu’il se renie lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive. 24 En
effet, qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de
moi, la sauvera.
*
Par les temps les plus troublés, qu’il s’agisse du temps commun de la société ou qu’il en soit du temps personnel, de l’air du temps ou de sa propre humeur, quand tout commence à faire question, quand tout est mis en question, doit même être mis en question, parce que les réponses qui nous sont faites, les réponses que nous nous faisons les uns aux autres sonnent de plus en plus faux, de plus en plus toc, que les foules sont de moins en moins sentimentales et qu’elles n’ont plus aucune soif d’idéal…
Quand le mensonge et la violence deviennent les seules réponses des rois, des puissant et des glorieux, sous tous
les cieux de la Terre, à celles et ceux qui osent seulement poser la question : « Qui t’a fait
roi ? »
Il est alors une question première, une question générative, que chacune et
chacun se pose immanquablement, face au miroir ou en son for intérieur, sous
les averses de chaque jour, avertissements du nouveau Déluge, ou dans le secret
de sa nuit de Gethsémani : « Qui
suis-je ? »
Et puisque nous confessons suivre Jésus le Christ, n’est-ce pas alors, dans
notre désarroi de plus en plus profond, vers lui que nous nous tournons pour
recevoir LA réponse ? N’est-il
pas lui-même, nous dit Jean,
« le chemin, la vérité et la vie » ? Une réponse qui ne souffre
aucun doute, aucune hésitation, aucun trouble ni aucune… question ?
Eh bien, ce n’est pas ainsi, ce n’est pas par cette réponse heureuse, vitaliste
même, mais qui recèle un mystère infini, que nous pouvons nous répondre en
vérité à nous-même, pour étancher notre angoisse de contemporains des temps
troublés.
Luc, ce matin, nous ramène à la question.
Il ouvre nos oreilles à la question de Jésus lui-même. La
question première, la question générative de toutes les autres : « Qui suis-je ? », mais
aussi à la connaissance de Jésus, c’est-à-dire la « renaissance avec » le Christ, qui
seule peut nous ramener sur le chemin,
la vérité et la vie.
ALORS
Jésus était-il prophète ?
Il l’était, certes, « pour les foules » !
Luc 9 :18Les disciples étaient
avec lui, et il les interrogea : « Qui suis-je au dire des foules ? » 19Ils répondirent : « Jean le Baptiste ; pour d’autres,
Élie ; pour d’autres, tu es un prophète
d’autrefois qui est ressuscité. »
C'est le sentiment de ceux qui
assistent à la résurrection du jeune homme de Naïm : « Tous furent
saisis de crainte. Ils rendaient gloire à Dieu en disant : ’’Un grand prophète s'est levé parmi nous et Dieu
a visité son peuple.’’ » (Lc
7 :16)
Ainsi l'acclameront encore les foules lors de son entrée à
Jérusalem : « C'est le prophète
Jésus de Nazareth en Galilée. » (Mt
21 :11) Et : « Les grands-prêtres cherchaient à l'arrêter, mais
ils eurent peur des foules car elles le tenaient pour un prophète. » (Mt
21 :45-46)
Jésus ne parle-t-il pas de lui-même en
comparant son sort à celui des prophètes ? « Un prophète n'est méprisé que dans sa patrie… » (Mc 6 :4-6)
N'est-ce pas ainsi qu'il justifie
aussi son choix de monter à Jérusalem ? « Il me faut poursuivre ma
route..., car il n'est pas possible qu'un prophète
périsse hors de Jérusalem. » (Lc
13 :33)
Jésus est-il Jean le Baptiste, évadé des prisons d’Hérode Antipas et finalement recapité ?
Les quatre Évangiles citent, au sujet
de Jean le Baptiste, la prophétie
d’Isaïe : (Is 40, 3) « Voix de celui qui crie dans le désert : rendez droit le
chemin du Seigneur » (Mc 1 1-8, Mt1, 3, Lc 3, 1-18, Jn 1, 19-34.).
Dans les évangiles synoptiques, Jean le Baptiste est présenté comme un nouvel Élie ou comme un Élie revenu.
L’historien judéo-romain Flavius Josèphe
dit que Jean le Baptiste fut exécuté à Machéronte, après y avoir été incarcéré,
Hérode Antipas craignant que ce prophète
n'utilise l'emprise qu'il avait sur les foules pour la pousser à la révolte.
Jésus est-il Élie lui-même, rendu par la nuée ou le tourbillon qui l’avaient
soustrait de la Terre neuf siècles plus tôt ? Le
prophète de YHWH (Yahweh), le Dieu d'Israël, face au dieu des Cananéens,
Baal ?
Mais maintenant qu’Hérode le tétrarque a dit : « Jean (le Baptiste), je l’ai fait moi-même
décapiter. » Et qu’il s’interroge : « Mais quel est
celui-ci, dont j’entends dire » qu’il est Jean le Baptiste, Élie, ou un prophète d’autrefois qui serait
ressuscité ? (Luc 7 :7-9)
Maintenant que Jésus lui-même repose la question aux Douze : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? »
(Luc 9 :20)
Non, Jésus n’est plus seulement un prophète. Juste avant de poser sa
question cruciale « Qui suis-je ? », il a multiplié les pains et les poissons ; il a rassasié cinq
mille hommes dans « un endroit désert », près d’une ville appelée
Bethsaïda (Luc 9 :10-17).
Alors Pierre lui répond, au nom des Douze : tu es « le Christ de Dieu », le
Messie ! Ah, enfin ! Le récit du même moment dans Matthieu semble confirmer cette révélation. Simon-Pierre y
répond ainsi à Jésus : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu
vivant. » Et reprenant la parole, Jésus lui déclare : « Heureux
es-tu, Simon, car c'est mon Père des
cieux qui t'a révélé cela. »
(Mt 16 :17)
« Christ », « Messie »,
« Fils du Dieu vivant » ! Mais est-ce bien là tout l’évangile,
la bonne nouvelle véritable ?
Selon Luc, cette réponse de Pierre, au
nom des Douze, met Jésus dans une sainte
colère : « 21Et lui, avec
sévérité, leur ordonna de ne le dire à personne » (TOB) / « 21Il
les rabroua, en leur enjoignant de ne
dire cela à personne » (NBS)
Est-ce dire que c’est un secret qu’il faut garder, qu’il ne
faut pas ébruiter, de crainte d’exposer Jésus à la mort certaine ? En bref, Jésus est-il, à cet instant, un
lâche ? Se dérobe-t-il à sa mission ? Se refuse-t-il brutalement
à la Passion-et-Résurrection qui est son destin ?
Ou est-ce un coup d’arrêt à la propagation d’une erreur, d’une bêtise, d’une
médisance, d’un faux témoignage ?
« Tu es le Christ de Dieu »,
tu es le Messie !, dit Pierre, pour
les Douze, à Jésus, avec ce même aveuglement dont – on le sait tellement depuis
le XXe siècle – sont douées « les foules ».
« Ne dites cela à
personne ! », répond, « avec sévérité », Jésus.
Le Messie, le Messie… !
Le Messie dont on attend la venue, le Messie dont on (d’autres « on ») attend le retour. Le Messie par ici,
le Messie par là…
Ce sujet de dispute morbide, depuis
presque vingt siècles, entre Juifs et Chrétiens, ce Fils prodigue taille XXL…
Le Sauveur du royaume d’Israël des 25
psaumes messianiques et du psaume 17,
en particulier, qui chante :
« 13Lève-toi, SEIGNEUR, tiens-lui
tête, fais-le plier ! Fais-moi échapper au méchant par ton épée,
14fais-moi échapper aux hommes par ta
main, SEIGNEUR, aux hommes de ce monde ! (…)
15Quant à moi, dans la justice, je
verrai ta face ; dès le réveil, je me rassasierai de ta forme. »
Le Messie, le Messie… !
Ce Messie d’Israël, oint de Dieu,
Christ ardemment attendu et vénéré par les Douze, Seigneur idolâtré par Pierre…
Ce Messie-Christ qui serait le roi nouveau d’Israël, le roi prodigue des
Juifs, le doublon d’Élie, le vengeur de Jean le Baptiste, le dernier des
prophètes…
Jésus brise là le fantasme :
« 21Et lui, avec sévérité, leur
ordonna de ne le dire à personne »
Et Jésus rétablit LA Vérité :
« 22en expliquant : ’’Il faut que
le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les
grands prêtres et les scribes, qu’il soit mis à mort et que, le troisième jour,
il ressuscite.’’ »
Ni prophète, ni Messie d’Israël, il
est le Fils de l’homme.
Jésus montre LE Chemin :
« 23Puis il dit à tous : ’’Si
quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu’il me
suive.’’
Aucun dolorisme, ni chair meurtrie,
transpercée, agonisante, aucun crucifix dans ce verset que tant de lectures
royales, ecclésiastiques et dominatrices ont tenté de nous infuser dans le cœur
et dans l’esprit. Mais une croix dont les branches sont plus vives que tous les
rayons du soleil, du sol invictus
impérial.
Jésus rend nos vies à LA Vie :
« 24En effet, qui veut sauver sa
vie, la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera. »
Ma vie choisit la Vie, et je vivrai…
En ce jour, il est donc avant tout le
Fils !
« Fils de l’homme », violenté, rejeté, tué…, mais ressuscité !
« Fils de l’homme » et « Fils
de Dieu », interrogeant
les disciples et les foules, au sortir d’une prière à son « Père des cieux » (Mt 16 :17), d’un
« Qui suis-je ? » primordial, presque primal.
Fils dont le Père n’est ni prophète, ni roi, ni prêtre, ni même le
Messie des foules de Jérusalem.
Fils d’un temps troublé et messianique qui ressemble au nôtre par sa violence, ses
mensonges, sa bestialité et son idolâtrie.
« 13Je regardais dans les visions de la
nuit, et voici qu’avec les nuées du ciel venait comme un Fils d’Homme ; il arriva jusqu’au Père, et on le fit approcher en sa présence. 14Et il
lui fut donné souveraineté, gloire et royauté : les gens de tous
peuples, nations et langues le servaient. Sa
souveraineté est une souveraineté éternelle qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera jamais détruite. » (Daniel / chapitre 7 / TOB)
CAR C’EST A LUI, LE PERE, QU’APPARTIENNENT LE
REGNE, LA PUISSANCE ET LA GLOIRE,
A LUI SEUL !
AMEN
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