À partir du IVe siècle, les textes des Pères insistent sur le lien fraternel qui unit tous les hommes au Christ. Au fil de son enquête originale, Michel Dujarier met en exergue une véritable « théologie du Christ-Frère », fondement de l’amour du prochain.
Église-Fraternité, tome 2. L’Église est la « Fraternité en Christ » (IVe-Ve siècles),
de Michel Dujarier,
Cerf, 870 p., 39 €
Œuvre
monumentale, dont voici le deuxième tome ! Un volume de quelque
870 pages, mais dont la lecture est étonnamment aisée tellement elle
offre une puissante et chaleureuse découverte : la vitalité bien connue
de l’Église aux IVe et Ve siècles, à la suite de la conversion de l’empereur Constantin en 312, s’est ressourcée sans cesse dans un élan de « fraternité en Christ »,
malgré d’âpres disputes avec les premières hérésies, et elle a
développé une théologie nouvelle reliant les baptisés avec le
Christ-Frère.
« Le nom propre de l’Église »
Il y a un peu plus de deux ans (La Croix du 4 avril 2014), le P. Michel Dujarier nous disait, à partir de sa recherche déjà bien avancée, que Fraternité était « le nom propre de l’Église » et que ce mot (adelphotès, en grec) a été employé dans le vocabulaire théologique, à partir des années 350, pour exprimer deux réalités fondamentales : « D’abord,
à propos de l’Incarnation, les Pères de l’Église disent que le Fils de
Dieu, en se faisant homme, “a pris notre fraternité”, ou “a revêtu notre
fraternité”, et qu’il est devenu ainsi notre frère en vie humaine.
Puis, mieux encore, le Christ nous a proposé de nous adopter comme
frères et sœurs en sa vie divine par les sacrements… »
Aujourd’hui,
le sens de son travail d’historien de l’Église d’avant l’an 800
s’approfondit encore, nous donnant à comprendre, en entrant dans le
détail des textes des Pères, comment Jésus le Christ devient alors à la
fois « le Fils unique et parfait du Père, en tant qu’il est Dieu », et « le frère de tout être humain depuis qu’il s’est fait homme ». C’est bien à ce moment historique si intense du milieu du IVe siècle que se consolide la double théologie « de l’incarnation du Christ et de la divinisation des chrétiens ». Et c’est aussi par la communion eucharistique que se renforce alors sans cesse « ce double lien de fraternité reliant les baptisés au Christ ».
« Cette fraternité n’est encore qu’un germe »
Les
développements éthiques universels de cette christologie sont
certainement une clé majeure pour expliquer le succès fulgurant du
christianisme à la toute fin de l’Antiquité. « Ainsi donc, résume Michel Dujarier, tous
les chrétiens, hommes et femmes, quelles que soient leur origine et
leur situation humaine, ont une égale dignité : vivant de l’Esprit Saint
en Jésus-Christ, ils sont devenus radicalement frères et sœurs entre
eux. » Pour autant,
l’œuvre n’est bien sûr jamais achevée et le prêtre théologien de Tours
partage, en conclusion de son livre, sa vibrante espérance que cette
fraternité s’intensifie et s’étende toujours plus dans l’humanité. « Cette fraternité n’est encore qu’un germe, a-t-il la lucidité d’affirmer, qu’il
va falloir mettre en œuvre par un amour fraternel effectif et en
croissance continue, non seulement dans l’Église, mais aussi dans le
monde entier, car tous les humains sont appelés par le Dieu d’Amour. »
Ce
n’est pas le moindre des charmes du fort volume savant de Michel
Dujarier que d’oser partager ce qui pourrait n’être qu’une belle utopie,
dans un monde ravagé par les guerres. Mais, en leur temps de chute de
l’Empire romain, qui ressemble par bien des aspects au nôtre, Athanase
d’Alexandrie, Grégoire de Nysse, Jean Chrysostome, Augustin…, pour citer
les Pères les plus célèbres, n’ont-ils pas inventé l’Église-Fraternité
sans se soucier des réalités politiques contradictoires avec leur
idéal christique ? L’auteur leur donne heureusement la parole et nous
invite à les entendre encore, sans réticence : « Les
Pères de l’Église ont repris et approfondi ce thème central de l’Église
qui est Fraternité en Christ. Ils nous en ont manifesté l’importance
centrale et la valeur vitale. Puissions-nous les écouter davantage pour
nous mettre à leur école. » Programme – « Plan de Dieu », écrit-il – que l’historien a su rendre enthousiasmant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire