Prédication du 26 juin 2016,
temple Port-Royal / Quartier latin (Paris 5 et 13)
Antoine Peillon SDG
Sur Luc 9, 51-62
Le vrai portrait du juif errant, le 22 avril 1784.
Luc 9:51-62
51 Comme arrivaient les jours où il allait être enlevé, il prit la
ferme résolution de se rendre à Jérusalem 52 et il envoya devant lui des
messagers. Ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de
Samaritains, afin de faire des préparatifs pour lui. 53 Mais on ne l’accueillit
pas, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. 54 Quand ils virent cela, les disciples
Jacques et Jean dirent : Seigneur, veux-tu que nous disions au feu de descendre
du ciel pour les détruire ? 5 5Il se tourna vers eux et les rabroua. 56 Et ils
allèrent dans un autre village. 57 Pendant qu’ils étaient en chemin, quelqu’un
lui dit : Je te suivrai partout où tu iras. 58 Jésus lui dit : Les renards ont
des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l’homme n’a pas
où poser sa tête. 59 Il dit à un autre : Suis-moi. Celui-ci répondit : Seigneur,
permets-moi d’aller d’abord ensevelir mon père. 60 Il lui dit : Laisse les morts
ensevelir leurs morts ; toi, va-t’en annoncer le règne de Dieu. 61 Un autre dit
: Je te suivrai, Seigneur, mais permets-moi d’aller d’abord prendre congé de
ceux de ma maison. 62 Jésus lui dit : Quiconque met la main à la charrue et
regarde en arrière n’est pas bon pour le royaume de Dieu.
***
Par ces paroles de Jésus, la parole de Dieu n'est jamais celle du
passé ; ce n'est pas une parole passée ; c'est une parole de
présence, c'est une parole du présent et c'est une parole décidée à se tourner
fermement vers l'avenir. Nous avons entendu que Jésus est tourné vers Jérusalem
et que son chemin l'y mène irrémédiablement, et que c'est avec une « ferme
résolution » qu'il suit son chemin. Luc dit aussi clairement que Jésus est de
partout, ou bien qu'il est de nulle part. Et que si les gens de ce village de
Samaritains ne l'ont pas compris et ne l'ont pas reçu, eh bien, pour lui, c'est
tant pis.
Jésus n'a pas de tanière comme le renard, il n'a pas de nid comme
un oiseau du ciel, et nous, et moi, « ma » vie, « mon »
pays, « mon » église, « ma » théologie ne servent-ils pas
de tanière, ne sont-ils pas des nids, ne sont-ils pas des « lieux
naturels » où je repose ma tête dans un certain sommeil ? Jésus n'y est
pas plus chez lui qu'ailleurs ; il ne s'est pas arrêté dans ma maison, ni
dans mon église, ni dans ma théologie ; il n'y trouve pas plus de repos
qu'ailleurs ; nous ne pouvons pas nous l'approprier, ni personnellement,
ni collectivement ; il n'est pas « mon » ou « nôtre »
Jésus ; il n'est pas celui qui est et restera ici, et ne cheminera plus
vers Jérusalem...
Le suivre, ce n'est pas qu'une question d'itinérance, ou
d'itinéraire, de guide spirituel façon guide touristique, c'est bien plus
devenir soi-même étranger a son propre intérêt.
Sur le chemin de cette liberté particulièrement exigeante, Jésus
rencontre des gens, beaucoup de gens, des foules, avec lesquels il échange
d'étranges paroles qui nous paraissent parfois choquantes, notamment à propos
d'enterrement, d'enterrement du père, de « notre » père (mais pas
celui qui est aux cieux), et même simplement à propos de la possibilité de
prendre congé des siens, tout simplement. Mais ces exemples, qui nous
permettent de comprendre plus vivement la réponse de Jésus à Jacques et Jean,
sont bien sûrs à entendre dans le contexte de Jésus marchant avec une
« ferme résolution » vers Jérusalem.
Comment devenir étranger, au point de ne plus savoir où reposer sa
tête, tout en gardant la moindre attache à sa terre, à sa maison, à sa famille,
comment devenir libre en continuant de se définir par rapport à ses ancêtres, à
la généalogie, à ses conditions particulières d'existence, à son milieu
culturel et social, à son pays, à sa nation, à parti ou à son club... ?
N'y a-t-il pas une tension entre « ma » maison et le Fils de l'homme,
une tension évidemment difficile à vivre ? Et Jésus le Christ lui-même
est-il devenu « ma » maison, « mon » église ? N'est-il
pas l'idole d'une nouvelle patrie, d'une nouvelle nation, d'un club qu'il faudrait
défendre avec des moyens humains, voire avec le feu du ciel ?
Jésus répond « sévèrement » : l'église, c'est un
chemin pour les apatrides, pour les sans-nation, les sans-papiers, les
réfugiés..., et il nous faut sans cesse réapprendre ce chemin. Toujours,
cependant, nous pensons arriver à bon port, dans la bonne maison ;
toujours, nous nous croyons et disons de quelque part, d'ici ou même
d'ailleurs ; toujours, nous croyons que nous avons quelque chose à
défendre, à enterrer et parfois seulement à saluer, alors que le projet de vie
que nous donne Jésus, c'est ce qu'il appelle ici le Royaume de Dieu,
c'est-à-dire une manière de vivre qui n'est plus inspirée par nos désirs
égoïstes, par nos duretés communautaires, par nos concurrences violentes,
c'est-à-dire par l'amour de nous-mêmes ou par celui des nôtres.
Le projet de vie que nous donne Jésus, c'est une vie inspirée par
l'Esprit de Dieu, cet Esprit-Saint qui témoigne de la victoire de celui que
nous suivons, de sa seigneurie sans pouvoir, sans feu du ciel et sans violence.
Comme Jésus selon Luc, nous n'avons qu'à aller dans un autre
village, si ce village-ci ne nous a pas reçus, qu'à reprendre le chemin, le
suive en confiance et choisir la vie (1).
Amen !
(1) Deutéronome 30 (Segond 1910)
19 J'en prends aujourd'hui à témoin contre vous le
ciel et la terre : j'ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la
malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité,
20 pour aimer l'Éternel, ton Dieu, pour obéir à sa
voix, et pour t'attacher à lui : car de cela dépendent ta vie et la
prolongation de tes jours, et c'est ainsi que tu pourras demeurer dans le pays
que l'Éternel a juré de donner à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob.
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