mercredi 17 juin 2015

Edgar Morin, en présence du « suprême Mystère »

Est-ce un livre testament ? Le philosophe y offre un «message ultime», où la vie, la résistance et le mystère font un.

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L’AVENTURE DE « LA MÉTHODE »
d’Edgar Morin
Éditions du Seuil, 176 p., 18 €

C’est par L’Aventure de «La Méthode d’Edgar Morin, son dernier livre paru, que pourra se faire, désormais, la plongée la plus simple dans son œuvre immense. Le sociologue et philosophe, qui va aujourd’hui sur ses 94 ans, réussit le tour de force de fondre en une seule vie des décennies de recherches fondamentales, d’engagements civiques éclatants et de pensées morales ou spirituelles.
Cette «aventure» de sa vie, qu’il partage aujourd’hui avec tous, commence par une enfance endeuillée par la mort de sa mère adorée, alors qu’il n’avait que 10 ans. Dans un premier chapitre très personnel, intitulé «La recherche de mes vérités», Edgar Morin se souvient aussi – au-delà de sa peine inconsolable de son adolescence – comment, vivant dans le monde « somnambulique » des années 1930, il fut de ceux qui rejetaient pareillement le nazisme et le stalinisme.

En conséquence de quoi, il fut de ces «chercheurs de la troisième voie», ce qui était tout à fait cohérent avec ses premières lectures d’essais : Simone Weil, Robert Aron, la revue Esprit d’Emmanuel Mounier… Autre moment initiatique fondamental, bien entendu, la période de l’Occupation permit à Edgar Morin de comprendre que l’Histoire, malgré ses apparences de destin, peut dérailler à tout moment et de façon parfaitement imprévisible. En 1940, Hitler claironnait l’avènement d’«un Reich de mille ans».
Mais dès l’automne 1941, l’armée allemande se trouvait enlisée dans la boue, devant Moscou. Le tournant militaire qui s’est confirmé pendant l’année 1942 amena Edgar Morin à reconsidérer complètement sa vision de l’avenir du monde. La même année, il entrait d’ailleurs résolument dans la résistance clandestine, à Toulouse, puis à Lyon. Il avait alors le sentiment, selon une formule de Rimbaud dans Une saison en enfer, qu’il possédait «la vérité dans une âme et un corps».
Cet esprit et cette pratique de la résistance n’ont jamais quitté le philosophe en action. Il y a peu, en avril dernier, il confiait à La Croix qu’il continuait d’inscrire ses actions publiques «dans une lignée de ce que fut la Résistance». Il précisait, avec vivacité : «Aujourd’hui, contre quoi faut-il résister ? Il faut résister contre deux barbaries. Une barbarie que nous connaissons tous, qui se manifeste par Daech, par les attentats, par les fanatismes les plus divers. Et l’autre barbarie, qui est froide, glacée, qui est la barbarie du calcul, du fric et de l’intérêt. Dans le fond, face à ces deux barbaries, tout le monde devrait, aujourd’hui, résister.»
Mais c’est par son hymne à la vie que le dernier livre d’Edgar Morin est le plus puissant, et le plus touchant aussi. Il a dit lui-même, d’ailleurs, que c’est dans ces pages sur «la compréhension du mystère» que se trouve son «message ultime» de ses décennies de travail. Au-delà de la recherche en sociologie, anthropologie et philosophie, recherche toujours exigeante du point de vue d’une «rationalité complexe», Edgar Morin témoigne que «nous approchons de l’extase également par l’invasion en nous du Mystère».
Ne craignant pas de s’aventurer vers un au-delà de la science, le philosophe affirme que «tout ce que nous avons appris de l’univers a révélé un abyssal mystère de la réalité : mystère de la vie sur terre, si stupéfiante dans sa naissance, et non moins stupéfiante dans ses évolutions, mystère de l’humain, mystère de la conscience». Il dit même trouver dans cet au-delà de la raison le meilleur sens de sa vie : «Nous sommes enveloppés désormais d’insondables mystères qui se connectent en un grand et suprême Mystère. La poésie du vivre comporte la présence du Mystère.»
Ne nous y trompons pas, ces déclarations qui peuvent paraître purement mystiques ne sont en rien détachées d’une philosophie de l’action et de la responsabilité vis-à-vis du monde. Edgar Morin articule lui-même son sentiment du mystère suprême avec son engagement pour une «politique de civilisation», un combat auquel il ne s’est jamais dérobé. «S’émerveiller des splendeurs de la vie et y trouver l’énergie pour se révolter contre les horreurs», telle est sans doute in fine sa devise.

Edgar Morin : "Vouloir un monde meilleur" from COGITO on Vimeo.
Retrouvez cette vidéo avec Edgar Morin sur www.cogito.tv

Antoine Peillon

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