Prédication du 5 novembre 2017,
temple Port-Royal / Quartier latin (Paris 5 et 13)
Antoine Peillon SDG
Sur Matthieu 23, 1-12
1 Alors Jésus, parlant à la foule et à ses disciples, dit:
3 Faites donc et observez tout ce qu'ils vous disent; mais n'agissez pas selon leurs oeuvres. Car ils disent, et ne font pas.
4 Ils lient des fardeaux pesants, et les mettent sur les épaules des hommes, mais ils ne veulent pas les remuer du doigt.
5 Ils
font toutes leurs actions pour être vus des hommes. Ainsi, ils portent
de larges phylactères, et ils ont de longues franges à leurs vêtements;
7 ils aiment à être salués dans les places publiques, et à être appelés par les hommes Rabbi, Rabbi.
8 Mais vous, ne vous faites pas appeler Rabbi; car un seul est votre Maître, et vous êtes tous frères.
9 Et n'appelez personne sur la terre votre père; car un seul est votre Père, celui qui est dans les cieux.
12 Quiconque s'élèvera sera abaissé, et quiconque s'abaissera sera élevé.
Alors, maintenant, les choses sont claires : « ça fight » entre Jésus et les scribes,
Jésus et les pharisiens, comme disent – entre autres – les collégiens. Oui, ça
barde entre celui que les enfants reconnaissent, à grands cris, qui plus est
dans le Temple, comme « Fils de David » (Mt 21.15), et les chefs
religieux d’Israël.
Entre ce nouveau prophète-messie et les « autorités » juives
assises sur le trône de Moïse, la polémique fatale est en train de monter aux
extrêmes et l’on sait jusqu’à quel sacrifice elle ira.
Il faut dire que toutes ces autorités religieuses, grands prêtres en tête,
manifestent systématiquement une hostilité radicale envers Jésus, depuis qu’il
est entré dans Jérusalem (ch. 12), une volonté de nuire, où la ruse le dispute
à la haine.
Ainsi :
·
Après la guérison d’un homme à la main paralysée, en
Mt 12.14 : « Une fois sortis, les Pharisiens tinrent conseil contre
lui, sur les moyens de le faire périr. »
·
Ou à propos des signes des temps, en Mt
16.1 : « Les Pharisiens et les Sadducéens s’avancèrent et, pour
lui tendre un piège, lui demandèrent de leur montrer un signe qui vienne du
ciel. »
·
Ou à propos de l’impôt dû à César, en Mt 21.15 :
« Alors les Pharisiens allèrent tenir conseil afin de le prendre au piège
en le faisant parler. »
Face à cette hostilité meurtrière, Jésus oppose le feu de la parole de
vérité. Et il le fait publiquement, parlant aux foules autant qu’à ses
disciples.
La vérité sur la déviance des chefs religieux d’Israël est comme condensée
dans ces douze versets du chapitre 23 de l’évangile de Matthieu que nous lisons
ce matin. Je vais y revenir.
Mais cette parole de vérité est elle-même violente, métaphysiquement
fatale, puisqu’elle se poursuit, dès le verset suivant, le 13, par les sept
malédictions qui stigmatisent le malheur, c’est-à-dire le mal, de tous ces
hypocrites religieux que sont les pharisiens et les scribes :
13 Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui fermez
devant les hommes l’entrée du Royaume des cieux ! (…)
15 Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui
parcourez mers et continents pour gagner un seul prosélyte…
16 Malheureux êtes-vous, guides aveugles…
23 Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui versez
la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin, alors que vous négligez ce qu’il
y a de plus grave dans la Loi : la justice, la miséricorde et la fidélité…
25 Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui
purifiez l’extérieur de la coupe et du plat, alors que l’intérieur est rempli
des produits de la rapine et de l’intempérance…
27 Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui
ressemblez à des sépulcres blanchis : au-dehors ils ont belle apparence, mais
au-dedans ils sont pleins d’ossements de morts et d’impuretés de toutes sortes.
(…)
29 Malheureux, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui bâtissez les
sépulcres des prophètes et décorez les tombeaux des justes…
Cette parole de vérité va même jusqu’à se conclure par cette menace
prophétique, au verset 23 : « Serpents, engeance de vipères, comment
pourriez-vous échapper au châtiment de la géhenne ? »
***
Mais alors, qu’elle est cette vérité dite aux foules et aux disciples, qui
génère tant de violence verbale et qui, bientôt, amènera Jésus jusque sur la
Croix ?
Il y a, dans ces versets de l’évangile de Matthieu, comme un pile et face de la vérité.
Côté pile, c’est-à-dire négativement, à travers la dénonciation des scribes
et des pharisiens, le Christ nous prévient contre l’hypocrisie de ceux qui
« disent et ne font pas », de ceux qui chargent les autres de règles,
mais qui s’exonèrent eux-mêmes de toute obligation. Il dénonce aussi la gloire
ostentatoire des chefs religieux, de tous les chefs peut être, dont toutes les
« actions » sont faites « pour se faire remarquer des
hommes ». Il nous propose enfin de nous détourner de ceux qui
« aiment à occuper les premières places dans les dîners et les premiers
sièges dans les synagogues, à être salués sur les places publiques et à
s’entendre appeler “Maître” par les hommes ». Voici donc ce qui est à
rejeter : tout homme, aussi grand prêtre soit-il, qui s’arroge la gloire
qui n’appartient qu’à Dieu seul.
Côté face, c’est-à-dire positivement, le Fils nous rappelle, et ce n’est
pas vain étant donné notre double penchant incorrigible à l’idolâtrie et à la
servitude volontaire, que nous n’avons qu’« un seul maître » ou
« docteur », le Christ, et qu’« un seul père », « le
Père céleste ». En vertu de quoi nous sommes « tous
frères » !
Nous échappons ainsi à la polémique morbide avec les pharisiens et scribes
de tous poils, par la soudaine élévation des versets 8 à 10 : « Mais
vous, ne vous faites pas appeler Rabbi ; car un seul est votre maître, et
vous, vous êtes tous frères. Et n’appelez personne sur la terre ‘‘père’’, car
un seul est votre père, le Père céleste. Ne vous faites pas appeler docteurs,
car un seul est votre docteur, le Christ. »
***
Destitution des chefs glorieux ; fraternité des enfants de Dieu et des
disciples du Christ : les nouvelles de notre évangile sont donc déjà
bonnes et méritent à elle seule notre méditation quotidienne.
Mais, au-delà, Matthieu nous offre l’annonce d’une véritable
révolution : « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui
s’élèvera sera abaissé, et qui s’abaissera sera élevé. »
La perle de notre évangile de ce dimanche, la meilleure des bonnes
nouvelles, tient sans doute dans ce mot de « serviteur », diakonos (διάκονος) dans le texte grec
de Matthieu, véritable clé de voûte de notre péricope.
C’est de lui que nous vient « diaconat », car, bien sûr, il s’agit
d’abord, ici comme en beaucoup d’autres versets de la Bible, du service rendu
aux autres hommes, à nos frères et sœurs en humanité. Et de fait, nous lisions
déjà en Matthieu 20.26 : « Mais quiconque veut être grand parmi vous,
qu’il soit votre serviteur. » Ou en Marc 10.43 : « Mais
quiconque veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur. »
Mais diakonos scintille de
quelques autres sens qui feront de ce mot « serviteur » l’étoile du
jour. Il signifie premièrement l’acte de l’esclave qui sert un repas à son
maître, comme en Luc 17. Ou celui de Marthe, à Béthanie, comme en Jean 12,
chapitre charnière qui révèle aussi la portée spirituelle du verbe
« servir » (diakonein) :
« Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive, et là où moi, je suis, là
aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un veut me servir, c’est le Père qui
l’honorera. » (Verset 26)
Car « servir » est in fine
la vocation du Christ lui-même et donc celle de ceux qui le suivent. Matthieu
connaît ce sens du service : « C’est ainsi que le Fils de l’homme
n’est pas venu pour être servi (diakonètènai),
mais pour servir (diakonèsai) et
donner sa vie en rançon pour une multitude. » (Mt 20.28). Et Luc développe
magnifiquement toute la leçon : « Il (Jésus) leur dit : Les rois
des nations les dominent en seigneurs et ceux qui exercent l’autorité sur elles
se font appeler bienfaiteurs. Chez vous, rien de semblable. Au contraire, que
le plus grand parmi vous devienne comme le plus jeune, et celui qui dirige
comme celui qui sert. En effet, qui est le plus grand, celui qui est à table,
ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Et moi, cependant, je suis au milieu de vous
comme celui qui sert. » (Lc 22.25 -27).
Dès lors, « service » (diakonia)
est synonyme de « ministère », comme l’attestent plus d’une douzaine
de versets des lettres de Paul, le serviteur-ministre du Christ par
excellence :
·
2 Corinthiens 3.6 : « Il nous a aussi rendus
capables d’être ministres d’une
nouvelle alliance, non de la lettre, mais de l’esprit ; car la lettre tue, mais
l’esprit vivifie. »
·
Galates 2.17 : « Mais, tandis que nous
cherchons à être justifiés par Christ, si nous étions aussi nous-mêmes trouvés
pécheurs, Christ serait-il un ministre
du péché ? Loin de là ! »
·
Éphésiens 3.7 : « (…) j’ai été fait ministre selon le don de la grâce de
Dieu, qui m ‘a été accordée par l’efficacité de sa puissance. »
·
Colossiens 1.23 : « (…) si du moins vous
demeurez fondés et inébranlables dans la foi, sans vous détourner de
l’espérance de l’évangile que vous avez entendu, qui a été prêché à toute
créature sous le ciel, et dont moi Paul, j’ai été fait ministre. »
·
Colossiens 1.25 : « C’est d’elle que j’ai
été fait ministre, selon la charge
que Dieu m’a donnée auprès de vous, afin que j’annonçasse pleinement la parole
de Dieu… »
·
1 Timothée 4.6 : « En exposant ces choses
aux frères, tu seras un bon ministre
de Jésus Christ, nourri des paroles de la foi et de la bonne doctrine que tu as
exactement suivie. »
Et cætera.
***
Ainsi, il nous apparaît que tous les sens de « serviteur » ou de
« servir » se tiennent comme autant de brins entrelacés d’un fil très
solide, d’un câble tiré entre Dieu et l’humanité. Il s’agit toujours du service
de celui qui transmets un bien qui vient d’un autre : repas, secours,
parole de Dieu ou bonne nouvelle par le Christ…
Je connais un jeune prêtre assomptionniste, venu de la République
démocratique du Congo, où se déchaînent les fléaux de la guerre civile et de la
corruption. Il est de ceux qui, suivant le Christ, servent sans gloriole,
dirai-je, leurs frères et sœurs autant qu’ils sont au service de Dieu.
Serviteur et ministre… Jusqu’à assumer éventuellement le danger ultime, sans
rechercher pour autant la gloire du sacrifice, du martyre. Par ce qu’il m’a
raconté, un jour, sa vie, dans son pays, et par son amitié, il m’a fait
beaucoup mieux comprendre ce que « servir » veut dire. Je le remercie
de tout cœur. Jean-Paul[1],
je te remercie aussi d’être ici, ce dimanche, en communion fraternelle avec
nous.
***
Dans diakonos, il y a
« dia », c’est-à-dire « à travers », ou « en
traversant ». Le « serviteur » traverse les situations humaines
les plus terrestres, voire terre-à-terre, pour nous faire entrevoir la vérité
la plus céleste de notre vocation. Il est celui « à travers lequel nous
avons cru », pour citer la première lettre de Paul aux Corinthiens (1 Co
3.5).
C’est un « passeur », autant qu’un pasteur.
Par le sacerdoce universel protesté - plutôt qu’attesté - par notre église,
ne sommes-nous pas tous des frères passeurs, des serviteurs ?
Je vous laisse avec cette fraternelle question.
Amen !
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