Ce quatrième volume des œuvres de Péguy publiées dans la Pléiade réunit ses œuvres poétiques et dramatiques, du « Mystère de la charité de Jeanne d’Arc » à «La Tapisserie de Notre-Dame »
Œuvres poétiques et dramatiques
de Charles Péguy
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1 888 p., 75 € (67,50 €, jusqu’au 31 déc. 2014)
Péguy
tout entier, en Pléiade. Enfin ! pourrait-on souffler. Car cette
édition profondément renouvelée et parfois originale de textes si
difficilement classables sous les étiquettes de « poésie » ou de
« drame » – leur auteur titrait « Chanson », « Mystère », « Ballades »
ou même « Tapisserie », autant que « Sonnets » – fait véritablement
office de suite et fin aux trois volumes des Œuvres en prose complètes
déjà publiés en 1987, 1988 et 1992.
Une œuvre réunifiée, malgré sa complexité sensible
Bien
plus et surtout bien mieux que l’édition de novembre 1941 (certes
révisée et augmentée en 1957 et 1975), sous le titre d’Œuvres poétiques
complètes, dont Pierre-Yves Le Priol a déjà écrit avec tact dans ces
colonnes (1) qu’elle avait été réalisée « sous le signe de la défaite »,
ce quatrième volume est construit avec un soin presque scientifique
sous la direction de Claire Daudin, présidente de l’Amitié Charles Péguy
depuis 2010. Il offre, dans l’ordre chronologique de leur rédaction,
tous les textes qui n’avaient pas trouvé place dans les trois volumes
précédents.
Et quelle belle place
prennent-ils aujourd’hui ! Non pas celle, creusée en forme de tombeau
nationaliste par Barrès, dès la mort du lieutenant Péguy, le 5 septembre
1914, ni celle, enserrée d’esprit sacrificiel, réservée par la lecture
pétainiste des années 1940 au « poète national » (2), mais bien celle
d’une œuvre réunifiée, malgré sa complexité sensible (Péguy était sans
doute un cœur encore plus qu’un esprit) et ses variations si puissantes
(il était un « insurgé »).
« La guerre fait la guerre à la paix »
Voici
donc le dreyfusard de Notre jeunesse (1910) relié, corps et âme, avec
le catholique méditatif et mystique du Mystère de la charité de Jeanne
d’Arc (1910 aussi, dans sa deuxième version), ce drame et poème libre
incroyablement moderne, malgré son inspiration médiévale, qui donne de
quoi méditer encore : « Vingt siècles, je ne sais combien de siècles de
prophètes. Quatorze siècles de chrétienté. Il ne faut qu’un instant pour
faire damner une âme. Il ne faut qu’un instant pour une perdition.
C’est toujours la même chose, la partie n’est pas égale. La guerre fait
la guerre à la paix. Et la paix naturellement ne fait pas la guerre à la
guerre… »
Claire Daudin affirme très
justement, dans la préface de ce volume, que la poésie de Péguy « est
peut-être ce qui est le plus nécessaire, ce dont nous avons faim et
soif », qu’elle est « une parole sensée, bonne et juste », mais qu’elle
ne contredit jamais les « écrits politiques » du prophète des Cahiers de
la Quinzaine, lesquels « anticipèrent les ravages des totalitarismes »
et condamnèrent la divinisation de l’argent toujours d’actualité.
L’inspiré et regretté Jean Bastaire (1927-2013), révélateur pionnier du
Péguy intégral tel qu’il reprend complètement corps aujourd’hui (3),
aurait été heureux de voir cette résurrection littéraire de son
« prophète chrétien », puisque « l’éternité même est dans le temporel »
(4).
ANTOINE PEILLON
(1) « Péguy, le demi-rebelle », La Croix du jeudi 26 juin 2014.
(2) Sur toutes ces captations d’héritage spirituel, Jean-Pierre Rioux a fait tout récemment une rectification rigoureuse : La Mort du lieutenant Péguy, Éd. Tallandier, 2014, 272 p., 20,90 €.
(3) Lire surtout Péguy tel qu’on l’ignore, Gallimard, « Folio Essais », 1973 et 1996, et Péguy l’insurgé, Éd. Payot, 1975.
(4) Péguy, Ève, 1913.
(article publié dans la Croix le 2 octobre 2014)
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