lundi 6 février 2017

« Et vous, qui dites-vous que je suis ? »

Prédication du 5 février 2017,

temple Port-Royal / Quartier latin (Paris 5 et 13)

Antoine Peillon SDG

Sur Luc 9,18-24

Transfiguration, par Duccio di Buoninsegna (Sienne vers 1255-1260 - vers 1318-1319)

18 Or, comme il était en prière à l’écart, les disciples étaient avec lui, et il les interrogea : « Qui suis-je au dire des foules ? » 19 Ils répondirent : « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, tu es un prophète d’autrefois qui est ressuscité. »
20 Il leur dit : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » Pierre, prenant la parole, répondit : « Le Christ de Dieu. » 21 Et lui, avec sévérité, leur ordonna de ne le dire à personne, 22 en expliquant : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit mis à mort et que, le troisième jour, il ressuscite. »
23 Puis il dit à tous : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive. 24 En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera.
*

Par les temps les plus troublés, qu’il s’agisse du temps commun de la société ou qu’il en soit du temps personnel, de l’air du temps ou de sa propre humeur, quand tout commence à faire question, quand tout est mis en question, doit même être mis en question, parce que les réponses qui nous sont faites, les réponses que nous nous faisons les uns aux autres sonnent de plus en plus faux, de plus en plus toc, que les foules sont de moins en moins sentimentales et qu’elles n’ont plus aucune soif d’idéal…
Quand le mensonge et la violence deviennent les seules réponses des rois, des puissant et des glorieux, sous tous les cieux de la Terre, à celles et ceux qui osent seulement poser la question : « Qui t’a fait roi ? »
Il est alors une question première, une question générative, que chacune et chacun se pose immanquablement, face au miroir ou en son for intérieur, sous les averses de chaque jour, avertissements du nouveau Déluge, ou dans le secret de sa nuit de Gethsémani : « Qui suis-je ? »
Et puisque nous confessons suivre Jésus le Christ, n’est-ce pas alors, dans notre désarroi de plus en plus profond, vers lui que nous nous tournons pour recevoir LA réponse ? N’est-il pas lui-même, nous dit Jean, « le chemin, la vérité et la vie » ? Une réponse qui ne souffre aucun doute, aucune hésitation, aucun trouble ni aucune… question ?

Eh bien, ce n’est pas ainsi, ce n’est pas par cette réponse heureuse, vitaliste même, mais qui recèle un mystère infini, que nous pouvons nous répondre en vérité à nous-même, pour étancher notre angoisse de contemporains des temps troublés.
Luc, ce matin, nous ramène à la question.
Il ouvre nos oreilles à la question de Jésus lui-même. La question première, la question générative de toutes les autres : « Qui suis-je ? », mais aussi à la connaissance de Jésus, c’est-à-dire la « renaissance avec » le Christ, qui seule peut nous ramener sur le chemin, la vérité et la vie.

ALORS

Jésus était-il prophète ?
Il l’était, certes, « pour les foules » !
Luc 9 :18Les disciples étaient avec lui, et il les interrogea : « Qui suis-je au dire des foules ? » 19Ils répondirent : « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, tu es un prophète d’autrefois qui est ressuscité. »
C'est le sentiment de ceux qui assistent à la résurrection du jeune homme de Naïm : « Tous furent saisis de crainte. Ils rendaient gloire à Dieu en disant : ’’Un grand prophète s'est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple.’’ »  (Lc 7 :16)
Ainsi l'acclameront encore les foules lors de son entrée à Jérusalem : « C'est le prophète Jésus de Nazareth en Galilée. »  (Mt 21 :11) Et : « Les grands-prêtres cherchaient à l'arrêter, mais ils eurent peur des foules car elles le tenaient pour un prophète. »  (Mt 21 :45-46)
Jésus ne parle-t-il pas de lui-même en comparant son sort à celui des prophètes ? « Un prophète n'est méprisé que dans sa patrie… »  (Mc 6 :4-6)
N'est-ce pas ainsi qu'il justifie aussi son choix de monter à Jérusalem ? « Il me faut poursuivre ma route..., car il n'est pas possible qu'un prophète périsse hors de Jérusalem. »  (Lc 13 :33)

Jésus est-il Jean le Baptiste, évadé des prisons d’Hérode Antipas et finalement recapité ?
Les quatre Évangiles citent, au sujet de Jean le Baptiste, la prophétie d’Isaïe : (Is 40, 3) « Voix de celui qui crie dans le désert : rendez droit le chemin du Seigneur » (Mc 1 1-8, Mt1, 3, Lc 3, 1-18, Jn 1, 19-34.).
Dans les évangiles synoptiques, Jean le Baptiste est présenté comme un nouvel Élie ou comme un Élie revenu. L’historien judéo-romain Flavius Josèphe dit que Jean le Baptiste fut exécuté à Machéronte, après y avoir été incarcéré, Hérode Antipas craignant que ce prophète n'utilise l'emprise qu'il avait sur les foules pour la pousser à la révolte.
Jésus est-il Élie lui-même, rendu par la nuée ou le tourbillon qui l’avaient soustrait de la Terre neuf siècles plus tôt ? Le prophète de YHWH (Yahweh), le Dieu d'Israël, face au dieu des Cananéens, Baal ?

Mais maintenant qu’Hérode le tétrarque a dit : « Jean (le Baptiste), je l’ai fait moi-même décapiter. » Et qu’il s’interroge : « Mais quel est celui-ci, dont j’entends dire » qu’il est Jean le Baptiste, Élie, ou un prophète d’autrefois qui serait ressuscité ? (Luc 7 :7-9)
Maintenant que Jésus lui-même repose la question aux Douze : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » (Luc 9 :20)

Non, Jésus n’est plus seulement un prophète. Juste avant de poser sa question cruciale « Qui suis-je ? », il a multiplié les pains et les poissons ; il a rassasié cinq mille hommes dans « un endroit désert », près d’une ville appelée Bethsaïda (Luc 9 :10-17).
Alors Pierre lui répond, au nom des Douze : tu es « le Christ de Dieu », le Messie ! Ah, enfin ! Le récit du même moment dans Matthieu semble confirmer cette révélation. Simon-Pierre y répond ainsi à Jésus : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Et reprenant la parole, Jésus lui déclare : « Heureux es-tu, Simon, car c'est mon Père des cieux qui t'a révélé cela. »  (Mt 16 :17)

« Christ », « Messie », « Fils du Dieu vivant » ! Mais est-ce bien là tout l’évangile, la bonne nouvelle véritable ?

Selon Luc, cette réponse de Pierre, au nom des Douze, met Jésus dans une sainte colère : « 21Et lui, avec sévérité, leur ordonna de ne le dire à personne » (TOB) / « 21Il les rabroua, en leur enjoignant de ne dire cela à personne » (NBS)
Est-ce dire que c’est un secret qu’il faut garder, qu’il ne faut pas ébruiter, de crainte d’exposer Jésus à la mort certaine ? En bref, Jésus est-il, à cet instant, un lâche ? Se dérobe-t-il à sa mission ? Se refuse-t-il brutalement à la Passion-et-Résurrection qui est son destin ?
Ou est-ce un coup d’arrêt à la propagation d’une erreur, d’une bêtise, d’une médisance, d’un faux témoignage ?

« Tu es le Christ de Dieu », tu es le Messie !, dit Pierre, pour les Douze, à Jésus, avec ce même aveuglement dont – on le sait tellement depuis le XXe siècle – sont douées « les foules ».
« Ne dites cela à personne ! », répond, « avec sévérité », Jésus.

Le Messie, le Messie… !
Le Messie dont on attend la venue, le Messie dont on (d’autres « on ») attend le retour. Le Messie par ici, le Messie par là…
Ce sujet de dispute morbide, depuis presque vingt siècles, entre Juifs et Chrétiens, ce Fils prodigue taille XXL…
Le Sauveur du royaume d’Israël des 25 psaumes messianiques et du psaume 17, en particulier, qui chante :
« 13Lève-toi, SEIGNEUR, tiens-lui tête, fais-le plier ! Fais-moi échapper au méchant par ton épée,
14fais-moi échapper aux hommes par ta main, SEIGNEUR, aux hommes de ce monde ! (…)
15Quant à moi, dans la justice, je verrai ta face ; dès le réveil, je me rassasierai de ta forme. »
Le Messie, le Messie… !
Ce Messie d’Israël, oint de Dieu, Christ ardemment attendu et vénéré par les Douze, Seigneur idolâtré par Pierre…
Ce Messie-Christ qui serait le roi nouveau d’Israël, le roi prodigue des Juifs, le doublon d’Élie, le vengeur de Jean le Baptiste, le dernier des prophètes…

Jésus brise là le fantasme :
« 21Et lui, avec sévérité, leur ordonna de ne le dire à personne »
Et Jésus rétablit LA Vérité :
« 22en expliquant : ’’Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit mis à mort et que, le troisième jour, il ressuscite.’’ »
Ni prophète, ni Messie d’Israël, il est le Fils de l’homme.
Jésus montre LE Chemin :
« 23Puis il dit à tous : ’’Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive.’’
Aucun dolorisme, ni chair meurtrie, transpercée, agonisante, aucun crucifix dans ce verset que tant de lectures royales, ecclésiastiques et dominatrices ont tenté de nous infuser dans le cœur et dans l’esprit. Mais une croix dont les branches sont plus vives que tous les rayons du soleil, du sol invictus impérial.
Jésus rend nos vies à LA Vie :
« 24En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera. »
Ma vie choisit la Vie, et je vivrai…

En ce jour, il est donc avant tout le Fils !

« Fils de l’homme », violenté, rejeté, tué…, mais ressuscité !

« Fils de l’homme » et « Fils de Dieu », interrogeant les disciples et les foules, au sortir d’une prière à son « Père des cieux » (Mt 16 :17), d’un « Qui suis-je ? » primordial, presque primal.

Fils dont le Père n’est ni prophète, ni roi, ni prêtre, ni même le Messie des foules de Jérusalem.

Fils d’un temps troublé et messianique qui ressemble au nôtre par sa violence, ses mensonges, sa bestialité et son idolâtrie.

« 13Je regardais dans les visions de la nuit, et voici qu’avec les nuées du ciel venait comme un Fils d’Homme ; il arriva jusqu’au Père, et on le fit approcher en sa présence. 14Et il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté : les gens de tous peuples, nations et langues le servaient. Sa souveraineté est une souveraineté éternelle qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera jamais détruite. » (Daniel / chapitre 7 / TOB)

CAR C’EST A LUI, LE PERE, QU’APPARTIENNENT LE REGNE, LA PUISSANCE ET LA GLOIRE,
A LUI SEUL !
AMEN

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire